Le « choc d’attractivité » du métier d’enseignant, c’est (déjà) fini. L’annonce par le ministère de la prolongation de la période d’inscription aux concours de l’enseignement est un aveu d’échec. Elle démontre que la politique de ressources humaines suivie par le gouvernement échoue à attirer des candidats à ces concours. Le ministère est-il capable de réagir à cet échec ?
Une annonce qui confirme la prolongation de la crise du recrutement
« Pap Ndiaye a décidé de prolonger cette période d’inscription aux concours jusqu’au 2 décembre 2022 pour permettre à un maximum de candidats de s’inscrire ». Cette prolongation ne peut s’expliquer que par un nombre encore plus bas de candidats aux concours 2023 qu’à ceux de 2022.
Pour visualiser l’effondrement, il faut rappeler quelques chiffres. Si l’on prend les seuls concours de l’enseignement du 2d degré, il y avait 134 938 inscrits en 2018 et 67 295 présents aux épreuves. En 2020, on était passé à 115 801 et 61 486. En 2022, on a compté seulement 90 288 inscrits et 47 909 présents. Le tout pour un nombre de postes quasi identique. Pour que le ministère prenne la décision de prolonger les inscriptions, il est très probable qu’on est nettement en dessous des inscriptions de 2022.
Le report du concours n’explique pas la crise
Pour expliquer la chute des inscriptions en 2022, le ministère a mis en avant la réforme des concours. Le passage du concours de M1 à M2 aurait « mécaniquement » épuisé le vivier de candidats. Il est clair que cette explication n’est pas valable pour 2023. La crise du recrutement a d’autres raisons qui plongent encore plus profondément dans la gestion des relations humaines du ministère.
Il y a bien un effet concours. Si le ministère a repoussé de M1 à M2 le concours ce n’est pas pour améliorer la formation des futurs enseignants. Mais pour récupérer des milliers de postes de fonctionnaires stagiaires. Au lieu d’être rémunérés pour leur année de M2 comme des agents de l’État, les futurs enseignants sont devenus des étudiants rémunérés chichement en fonction de leurs interventions comme bouche-trous dans les classes. Cette évolution décourage un peu plus les jeunes de milieu populaire de poursuivre des études aussi longues. En même temps, l’année de M2 a été alourdie par la nécessité de préparer le M2 et le concours, des objectifs différents.
En même temps l’entrée dans le métier a été, elle aussi, alourdie. Le ministère était très satisfait de pouvoir compter sur des néo enseignants prenant une classe à temps complet. Comme l’explique G David, co-secrétaire générale du Snuipp Fsu, « les professeurs des écoles qui débutent actuellement avec 4 quarts de décharges et autant de niveaux différents, ce n’est pas une nuit blanche qu’ils passent… Si l’entrée dans le métier était moins brutale, il y aurait sans doute plus de candidats ! ».
Crise de confiance pour la revalorisation
Sautons sur un autre tweet, de Pap Ndiaye cette fois. Le 10 novembre il dit qu’il « souhaite une revalorisation financière » des enseignants. À force de parler de revalorisation sans jamais la décider, le ministère a ruiné sa crédibilité et les espoirs des enseignants (futurs et actuels). Officiellement, il y aura une revalorisation en septembre 2023, dans presque une année, et dans un périmètre qui est encore totalement flou. Le ministre insiste sur les débuts de carrière à 2000€. Mais ses propres documents montrent ensuite un magnifique palier pendant les 10 ou 20 années qui suivent. Qui a envie d’entrer dans un métier où il n’y a aucune progression de carrière ? Encore faut-il aussi, subir la petite musique insidieuse du ministère qui dit aussi que la revalorisation n’est pas que salariale et que, à l’exemple de l’Allemagne, celle-ci est secondaire.
D’autant que, dans la suite de la loi de transformation de la fonction publique, le ministère développe la contractualisation. Le nouveau concours va permettre à des contractuels ayant un niveau bac +2 de devenir enseignant titulaire. Alors que la crise du recrutement et les suppressions de poste ont rendu très difficiles les mutations, les contractuels peuvent choisir leur académie d’exercice.
La vraie revalorisation, explique le ministre, sera liée au « nouveau pacte » avec les enseignants. Cela a encore été dit aux syndicats le 9 novembre. Seront réévalués les enseignants qui accepteront de travailler plus en se formant sur les périodes de congé , en faisant des remplacements, en suivant des élèves. Cela alors même que la Depp, la division recherche du ministère, démontre que les enseignants travaillent 43 heures par semaine en moyenne. Le message des enseignants est répercuté par la Depp : une large majorité estime être vraiment mal payés (55% contre 7% des Français) et la moitié se plaint de la charge de travail. Tout cela est confirmé par la hausse constante des démissions tout au long du précédent quinquennat et maintenant des ruptures conventionnelles : 425 en 2020, 2130 en 2021.
Une prolétarisation du métier enseignant
Autre petite musique entendue au ministère depuis le Grenelle : la réforme du métier. Elle accompagnera probablement le « nouveau pacte » voulu par le président. Les enseignants doivent apprendre à travailler en équipe pour avoir plus de plaisir dans le travail. Ces équipes seront « dynamisées » par les chefs d’établissement et les directeurs. Si travailler avec des collègues que l’on estime est un vrai trésor, ce n’est pas cela que propose le ministère. Ce qu’il veut, c’est un contrôle plus étroit du travail enseignant. C’est par ce contrôle accru qu’il pense améliorer les résultats du système éducatif. On en revient à l’image dégradée des enseignants que véhicule le ministère. Tout en proclamant sa volonté de revaloriser le métier aux yeux des Français, il pousse sans cesse à sa prolétarisation.
« C’est sous l’effet d’une double asphyxie budgétaire et dogmatique que le système s’est grippé », explique le Se Unsa dans un communiqué. « Les salaires ont continué de décrocher sous l’effet d’un dégel du point d’indice aussi rare que faible… La pluie de réformes et d’injonctions déconnectées des réalités a accru la mise en porte-à-faux face aux besoins grandissants de nos élèves ». Le Snes Fsu, premier syndicat du second degré, « exige le rattrapage des pertes de pouvoir d’achat et une revalorisation sans contreparties ».
La prolongation des concours d’enseignement signe l’échec de la politique de relations humaines du ministère. Pour y remédier, il ne faudrait pas seulement un autre budget. Il faudrait aussi une autre vision du métier.
François Jarraud