« Aucune discipline scientifique seule ne peut donner raisonnablement de recette pédagogique plus ou moins miraculeuse ». Professeur de psychologie du développement, Edouard Gentaz remet les pendules à l’heure dans un ouvrage (Les neurosciences à l’école : leur véritable apport, édition Odile Jacob). L’ouvrage qui réfléchit aux relations entre la recherche et l’enseignement. Il en montre la complexité et la place primordiale qu’y jouent les enseignants. Venant après des années d’instrumentalisation de la science en soutien à une politique éducative dont on constate maintenant les impasses, l’ouvrage apporte une réflexion salutaire. Edouard Gentaz aime la recherche et l’enseignement. Il sait taper fort, par exemple quand il dénonce le conflit d’intérêt entre des prescriptions officielles et des éditions privées. Pour E Gentaz les neurosciences ne vont pas révolutionner l’école.
Ce livre est-il une réaction à l’impérialisme des neurosciences ?
Non, c’est une réaction au mésusage des neurosciences. Je donne un avis sur son mésusage en éducation. J’essaie de montrer les apports de chaque discipline et de mieux expliquer ce que sont vraiment les neurosciences et ce qu’elles peuvent apporter par rapport aux autres disciplines. On a besoin d’une vision pluridisciplinaire pour comprendre l’école et l’enseignement.
Les neurosciences peuvent-elles dicter des pratiques pédagogiques ?
Non. Mais elles peuvent apporter un éclairage complémentaire aux autres disciplines. Ce qui peut éclairer vraiment les pratiques, c’est d’associer chercheurs et enseignants pour monter des recherches qui pourraient avoir des effets sur les gestes professionnels.
Dans l’ouvrage, vous critiquez notamment un guide ministériel sur l’apprentissage de la lecture. Que lui reprochez-vous ?
Derrière cette critique, l’idée est de discuter le lien entre enseignement et recherche, ce qu’on peut porter comme recommandation et que peut-on vraiment faire dire à la recherche. Il n’y a pas de lien direct entre ce que font les chercheurs et ce qui se fait en classe. La recherche est nécessaire. Mais on ne peut en tirer de prescriptions sans une analyse critique du contexte.
Par ailleurs, c’est très important de déclarer d’éventuels conflits d’intérêts. C’est un des principes de base quand on rédige des recommandations ou qu’on propose des applications. Il faudrait adopter le même principe en éducation.
L’ouvrage critique aussi la pédagogie Montessori et la méditation, des pratiques qui se diffusent rapidement dans l’enseignement français. Pourquoi ?
Je suis critique sur les usages qui sont faits de la pédagogie Montessori et sur les argumentations, par exemple quand on dit, comme Alvarez, qu’ils s’appuient sur les neurosciences. Quand on passe au crible les analyses faites de cette pédagogie, on voit que les résultats ne sont pas nets et qu’íls sont modestes. La pédagogie Montessori n’est pas l’alpha et l’oméga de la pédagogie et elle ne na va pas résoudre tous les problèmes. Il y a au final peu de différences de résultats entre les écoles pratiquant la pédagogie Montessori et les autres.
C’est la même chose pour la méditation. Elle peut être un bon outil pour travailler l’attention ou les compétences psychosociales. Mais il n’y a pas de preuves en ce qui concerne les résultats des élèves.
Typiquement que recommanderiez-vous pour la maternelle ?
En maternelle, on a des compétences à développer chez les enfants qui semblent relever du périscolaire, mais qui doivent faire partie de l’école. Je pense au jeu et particulièrement au jeu de faire semblant. Il tombe en désuétude. Or, il est essentiel en maternelle et il a des effets positifs. On a pu démontrer qu’en formant les enseignants et en donnant toute sa place à ce jeu, on aide les enfants à réguler leurs émotions et on améliore leurs compétences émotionnelles et donc scolaires. C’est aussi un étayage pour le langage. À Genève nous avons réussi à l’intégrer dans le curriculum scolaire du canton.
Globalement la recherche peut-elle dicter des pratiques pédagogiques ?
Non. Comme je l’explique dans ce livre, elle ne fait qu’alimenter la réflexion. C’est un levier pour prendre des décisions. On peut montrer à l’enseignant des résultats de la recherche. Mais dans la classe, c’est à lui de fabriquer son geste professionnel. Et c’est un exercice très compliqué.
Vous appelez dans ce livre à revoir la formation des enseignants. Que faut-il modifier ?
Le levier le plus rentable pour améliorer l’enseignement, c’est la formation des enseignants. Aujourd’hui, elle est insuffisante. Elle devrait être plus longue et davantage articulée entre théorie et terrain. On devrait avoir une formation commençant en L2, après une sélection en L1 sur des critères académiques. On aurait 4 ou 5 années de formation très progressive intégrant de plus en plus le coenseignement. Vu la complexité du métier, ce n’est pas possible de former rapidement les enseignants et particulièrement les professeurs des écoles qui doivent intégrer beaucoup de disciplines scolaires et en plus du transversal pour des publics très différents. Cette formation devrait être suivie de retours en formation continue du tye « une année en université » tous les 4 ou 5 ans.
Propos recueillis par François Jarraud
Edouard Gentaz, Les neurosciences à l’école : leur véritable apport , Odile Jacob, ISBN 978-2-4150-0250-3, 22.90€