Enseigner la langue en 2022 : mission impossible ? Au collège Balzac d’Azay-Le-Rideau, Elodie Lahaye tente de relever le défi en renouvelant les modalités traditionnelles de la « leçon de grammaire » : phase de réflexion collective, oral de réactivation, enquête grammaticale favorisant manipulations, investigations, confrontations et formalisation, réinvestissement par la production de ressources numériques telles que podcasts, blindtests, flashcards, … La démarche se veut active et déductive pour travailler, autant que les notions elles-mêmes, la capacité à raisonner sur la langue et le plaisir d’en extraire des saveurs. Enseigner la langue en 2022 : mission accomplie ?
En quoi l’étude de la langue vous semble-t-elle souvent poser problème dans les classes ?
Au collège, l’étude de la langue devient problématique au fil des 4 années. En effet, au départ, les élèves de 6ème sont plutôt rassurés par les rituels de langue qui leur permettent de consolider des automatismes. Cependant, peu à peu, les notions se complexifient et on voit naître un désintérêt croissant pour la langue. Il n’est pas rare de les entendre dire qu’ils ont tout oublié ou même qu’ils n’ont jamais vu telle ou telle notion car ils ne comprennent pas toujours l’intérêt des notions que l’on aborde en classe. Le français est leur langue et ils pensent la maîtriser sans avoir besoin d’étudier les concepts. C’est selon moi une des raisons qui fait qu’ils se désintéressent de la grammaire. A cela s’ajoute aussi la multiplicité des thèmes à traiter et des compétences à travailler en cours de français, ce qui peut expliquer aussi un désintérêt pour la langue.
La première étape de votre démarche amène les élèves à une réflexion collective sur la notion de langue abordée : comment menez-vous cette étape ? quels vous apparaissent les intérêts de cette phase d’échange ?
Cette première étape est à mes yeux cruciale car elle permet aux élèves d’échanger librement et de faire part de leurs connaissances sur la notion abordée. Je n’interviens donc pas et les laisse confronter leurs certitudes. Cette étape donne lieu à des échanges fructueux. J’ai par exemple décidé d’aborder la notion de phrase avec les 3èmes. Une des élèves propose la phrase : « Dehors ! » Et là, l’un d’eux intervient en disant que non ce n’est pas une phrase. S’en est alors suivi un débat entre eux pour déterminer ce qu’on appelle « phrase ». Et peu à peu, le groupe classe est arrivé à une définition commune qui aurait pu être la mienne, mais qui ici avait davantage de portée car tout est venu d’eux. J’ai adopté lors de ces échanges la posture du lâcher-prise, même si par moments j’ai réorienté les échanges. Cette phase me paraît essentielle afin de leur permettre de prendre confiance, d’échanger entre eux et de fonder une vraie communauté autour du fait grammatical. Ensuite, une fois les premières définitions posées et constats faits, j’ai demandé à chaque élève de réaliser un oral de réactivation afin de voir ce que chacun avait retenu de cette séance. Une bonne manière de voir ce qui est acquis, compris et d’individualiser ensuite les activités.
Vous invitez les élèves à une « enquête grammaticale » : pouvez-vous nous éclairer sur ce travail d’investigation et de réflexion ?
Pour réaliser cette activité, je me suis appuyée sur l’ouvrage de Suzanne Chartrand qui dans Mieux enseigner la grammaire préconise des activités qui permettent de faire réfléchir les élèves sur la langue à travers des manipulations, mais aussi en s’appuyant sur leur capacité à expliciter leur raisonnement. Par exemple, afin de revenir sur la distinction entre phrase simple et complexe, j’ai donné un corpus aux élèves avec comme objectif de classer les phrases en s’appuyant sur des raisonnements grammaticaux. En groupe, ils ont donc réfléchi au classement possible de ces phrases à partir de critères qu’ils ont déterminés. Ils sont partis des phrases puis de leurs représentations. Les enregistrements de cette étape montrent que chaque élève n’est pas au même stade d’acquisition des notions. C’est donc un bon moyen de revoir les notions et de les réactiver, mais aussi de dissiper certains malentendus. Une fois les premiers constats effectués, quelques groupes ont présenté leur classement en s’appuyant sur des manipulations. Cette étape de confrontation est essentielle afin de permettre aux différents groupes de s’exprimer et ainsi de mener vers la phase de formalisation de la leçon. C’est alors le moment où je reprends ma posture d’institutionnalisation : nous prenons alors en note la leçon. Puis afin de vérifier les acquis, plusieurs activités sont proposées : exercices d’identification, de manipulation, îlots de mémorisation… Cette démarche déductive permet de libérer la parole de chacun, de dédramatiser l’erreur et de formaliser une leçon de manière collective.
Les élèves ont été amenés à produire des ressources numériques sur les notions abordées : quelles ont été les consignes, les modalités de travail, les diverses productions ?
Pour cette étape, j’ai proposé différents supports à créer : podcast pour permettre de s’approprier les notions, exercices écrits et oraux type blind test, ainsi que la création d’outils favorisant la mémorisation comme les flash cards. J’ai également laissé les élèves choisir leur groupe. Ils ont ainsi travaillé en îlot selon le sujet choisi. J’ai fait en sorte de leur laisser une part d’autonomie dans le choix de la forme et du support. Tout naturellement les élèves en charge des podcasts se sont concertés pour choisir le nom de leur émission, pour faire en sorte de ne pas se répéter, ils ont aussi décidé du ton à adopter lors de leur production. Ces dernières ont donc été variées. J’avais deux classes de troisième en charge pour mener ce projet. Les élèves savaient que leur travail était destiné à l’autre classe. Je pense que cette composante leur a donné envie de faire au mieux car leur objectif de l’année était commun : obtenir le DNB.
Il est assez rare d’associer ainsi enseignement de la grammaire et pédagogie de projet : en quoi cette démarche vous semble-t-elle pertinente ?
Selon moi, la grammaire est une entrée qui se prête particulièrement à la pédagogie de projet. Les élèves ont des connaissances et ils sont ainsi entre eux capables de dire ce qu’ils savent mais aussi d’expliquer ce qu’ils ont compris et comment. Le dialogue entre pairs me semble être une clé des échanges. Participant au dispositif Twictée, qui repose sur l’échange et la création par les élèves en classe et hors la classe, je suis convaincue de la pertinence de laisser aux élèves la possibilité de s’exprimer et de confronter leur jugement pour asseoir leurs apprentissages. Notre projet au sein du groupe académique de travail NumériLettres repose lui aussi sur le principe de collaboration et est né de la confrontation de nos pratiques, de nos échanges et de nos questionnements respectifs. Il est donc logique de faire en sorte que ce genre de collaboration entre dans nos classes.
Quels conseils donneriez-vous à des collègues tenté.es d’adopter une telle démarche ?
Osez et surtout faites confiance aux élèves qui alors se prendront au jeu !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Exemple de production numérique : un blindtest