Depuis 5 ans en France, beaucoup plus dans les pays anglo-saxons, l' »evidence based », les politiques basées sur les preuves, dominent les politiques éducatives. Avec arrogance, elles ont pris le pouvoir souvent contre l’expérience des enseignants. Hugues Draelants (Université de Louvain) analyse le phénomène dans un nouvel ouvrage (L’évidence des faits, PUF). Il montre que les « preuves » reposent sur des ignorances volontaires. Il invite à la prise en compte des savoirs tirés de l’expérience. Il montre aussi que ces politiques minent la confiance entre le citoyen et les politiques. L’ouvrage d’Hugues Draelants et Sonia Revaz est important. Sa publication montre que le débat éclot dans la société. En France il arrive à un moment charnière. Le balancier peut-il repartir dans l’autre sens ? Hugues Draelants explique son point de vue.
Votre ouvrage (L’évidence des faits, PUF) appelle à redéfinir la place des politiques basées sur les preuves (PBP). Pourtant elles dominent des Etats-Unis à la France. Comment se sont elles imposées ?
En France, comme en Belgique, elles ne sont qu’émergentes même s’il y a eu une accélération sous JM Blanquer. On assiste à la montée de l’Etat évaluateur avec la volonté de proposer une politique efficace et pragamatique qui fait appel à la science pour dépasser les clivages idéologiques. Le problème c’est qu ec’est une façon réductrice de concevoir l’activité scientifique. Il est épistémologiquement problématique de fonder des politiques sur des types de preuves qui sont plutôt inspirée’s d’autres domaines comme la médecine. En éducation on travaille sur des aspects qui ne peuvent pas être étudiés de la même manière que dans des domaines scientifiques. C’ets ce qu’essaie de montrer ce livre. Les PBP en fait réactivent une logique technocratique qui a une longue histoire, rappelée dans le livre. Les promoteurs de « l’Evidence Based » ne semblent pas avoir une mémoire longue de l’histoire des sciences et des rapports entre connaissances et politiques de terrain.
Dans le livre vous écrivez que « ce dont les politiques ont besoin ne se réduit pas à des connaissances ». Vous parlez de naiveté à propos des PBP. Que voulez vous dire ?
Cela parait logique de fonder des politiques sur des connaissances solides. D’autant qu’en démocratie on pense que l’ignorance est un ennemi. Mais le problème c’est que ce qui fait preuve est dfini de manière très restrictive. Il y a une réduction de la connaissance à certains types seulement de connaissances produites avec certaines méthodes. Le problème c’est que cette norme est portée au pinacle. Or la politique n’a pas besoin que de connaissances. Elle doit aussi faire des choix de valeurs. Quand on rejette le débat idéologique on confine à la technocratie. En éducation il faut bie poser la questiondu type d’école que l’on veut. Or les connaissances utilisées dans les PBP sont restrictives. Elles font l’impasse sur des connaissances qui sont qualitatives ou sur des connaissances professionnelles qui sont dévalorisées. Le prémisse même des PBP qui est que l’on peut fonder une politique sur des preuves est un prémisse discutable.
Vous écrivez que les PBP sont basées sur des ignorances volontaires. Par exemple ?
Il y a plusieurs types d’ignorances volontaires montrées dans le livre. Il faut commencerpar dire que l’ignorance est constitutive de tout savoir. Produire de la connaissance, y compris scientifique, suppose d’aborder une question d’un certain point de vue. Les PBP ignorent aussi les situations particukières. Les connaissances produites ne s’adressent pas aux individus ce qui appauvrit la réalité. On passe à coté de la diversité en utilisant des moyennes abstraites.
Aux PBP vous opposez les savoirs d’expérience. Ceux ci sont ils établis ? Est ce raisonnable de les utiliser ?
Les savoirs d’expérience ne sont pas toujours solides non plus. Tout dépend de leur degré de partage. Mais le problème c’est que dans les PBP on ignore les singularités et aussi des modes de jugement professsionnels. Or c’est intéressant de s’en occuper quand il s’agit de modifier les comportements des acteurs locaux car ce sont eux les destinataires des politiques. Les écarter d’emblée et considérer qu’ils ne savent rien est dangereux.
Dans le livre revient l’exemple du redoublement sur lequel vous avez beaucoup travaillé. Quelle est votre position ?
C’est que finalement la recherche n’est pas conclusive sur le sujet. La science ne dit pas qu’il faut interdire le redoublement. Elle est divisée sur ce sujet. En Belgique on a décidé d’interdire le redoublement en se basant sur des métaanalyses américaines mais il n’y a jamais eu d’enquête précise en Belgique. On a pris des travaux faits dans un contexte différent avec des méthodes positivistes naives. On se rend compte maintenant que ces méthdes étaient très fragiles. On a évacué le débat et on en a dépossédé les citoyens. En partant des savoirs d’expérience on pourrait prendre en compte les situations où le redoublement peut aider les élèves. Cela permettrait d’avoir une politique plus fine que les PBP qui sont insensibles au contexte. Quand les politiques ignorent le contexte on assiste à la revanche du contexte.
Peut on inverser la tendance à la montée des PBP ?
Cela va être difficile. On le fera peut-être quand on aura constaté qu’elles ne tiennent ps leurs promesses, ce qui est le cas. Mais je plaiderais plutôt pour un usage raisonné des PBP. Elles doivent avant tout avoir conscience de leurs limites. Il faut passer à une politique qui ne soit pas fondée sur les preuves mais informée et pas seulement par des preuves restrictives. Il faut une politique basée sur la recherche quantitative et qualitative et par les savoirs professionnels. Il faut garder à l’esprit que la recherche ne peut pas fonder une politique mais seulement l’informer. Il faut être plus modeste. Il faudrait aussi accepter l’idée de faire des choix sur des valeurs. On ne peut pas seulement prescrire de façon top down des politiques aux enseignants.
Ces politiques basées sur les preuves peuvent avoir des effets dommageables sur la confiance descitoyens. Elles contribuent à miner la confiance dans l’action publique car les citoyens pensent qu’elles sont en rupture avec la réalité. On le voit en éducation où les enseignants sont prompts à dénoncer la connexion entre ces politiques et la réalité de leur classe. Il faut pratiquer une science attentive à la complexité du réel.
Propos recueillis par François Jarraud
Hugues Draelants, Sonia Revaz, L’évidence des faits. La politique des preuves en éducation. PUF éditeur. ISBN: 978-2-13-083733-6. 23€