Ministre très novice et remarquablement silencieux, Pap Ndiaye a t-il un cabinet qui puisse l’aider à développer sa politique éducative ? Faute d’une personnalité marquante, le cabinet reflète, quand on l’analyse, la juxtaposition de plusieurs projets politiques. Si la réforme macronienne de la voie professionnelle est très bien portée par plusieurs membres du cabinet, une autre source d’inspiration guide le cabinet. Il est remarquable de voir comment la Cour des Comptes y est, pour la première fois, fortement représentée aux postes clés. Or, quelques mois avant l’élection présidentielle, la Cour a publié pas moins de 4 rapports sur l’Ecole appelant tus à la même réforme : la privatisation de l’Ecole, c’est à dire sa soumission à une nouvelle gestion issue du privé. Avec un ministre novice et le cabinet actuel , cette réforme devrait avancer rapidement.
Le cabinet d’un ministre novice
Pour le moment 12 membres du cabinet de P. Ndiaye sont connus. Tous ont en commun d’avoir été choisis en haut lieu. Mais tous n’ont pas le même parcours. Ce cabinet d’un ministre novice semble composé d’écoles différentes.
Il faut d’abord signaler les personnalités directement liées à Emmanuel Macron. C’est le cas de la cheffe de cabinet, qui a exercé la même fonction auprès d’E Macron quand il était ministre des finances. Anne Rubinstein est aussi la conseillère spéciale du ministre. En principe c’est le conseiller spécial qui fixe l’horizon éducatif du cabinet. C’était le cas de JP Delahaye auprès de V. Peillon. Auprès de JM Blanquer, Fanny Anor marquait la présence de l’Institut Montaigne comme source d’inspiration du ministre. A Rubinstein n’est pas connue comme une spécialiste de l’éducation. Sa nomination à ce poste semble surtout devoir interdire au ministre la nomination d’un conseiller spécial. Ancien délégué générale des jeunes avec Macron et chargé de mission d’EM!, Pierre-Gaël Bessière, chef adjoint de cabinet, est aussi un proche du président. Julie Benetti, ancienne rectrice de Corse mais aussi responsable du pole éducation dans l’équipe du candidat Macron est « conseillère auprès du ministre », sans domaine particulier.
La réforme de la voie professionnelle
Une autre ligne forte se décèle dans le cabinet. C’est celle qui va porter la réforme de la voie professionnelle. C’est le domaine d’excellence de JM Huart, directeur de cabinet et un fidèle de JM Blanquer. Il a été derrière la loi Sapin comme directeur de la formation au ministère du Travail en 2015-217. Il peut s’appuyer sur Guillaume Houzel, conseiller orientation, enseignement professionnel et apprentissage. En 2019 JM Blanquer et F VIdal l’avaient chargé d’une mission visant à lever les freins à l’essor de l’apprentissage. E Macron a manifesté sa volonté d’aller en ce sens et de rapprocher encore davantage la voie professionnelle des besoins locaux des entreprises.
La Cour des Comptes rue de Grenelle
Mais l’originalité de ce cabinet c’est la place prise par des personnalités venues de la Cour des Comptes. C’est le cas de Thierry Le Goff, directeur adjoint du cabinet, ancien DRH de l’éducation nationale mais aussi ancien conseiller à la Cour. C’est aussi le cas d’Anastasia Iline, également directrice adjointe du v=cabinet, qui a été secrétaire générale adjointe de la Cour des Comptes.
Or la Cour des Comptes est tout sauf neutre sur les politiques éducatives. Alors que traditionnellement elle publiait des rapports sur l’éducation après les élections, cette année elle a choisi de publier pas moins de 4 rapports avant l’élection présidentielle. Elle a ainsi lancé plusieurs thèmes qui ont fleuri lors de la campagne. Et qui maintenant sont au cabinet.
Un projet éducatif : celui du nouveau management public
En décembre 2021, la Cour a publié un rapport qui dénonçait la faible performance du système éducatif français et désignait des pistes pour l’améliorer. La Cour déplorait « une adaptation trop lente de la structure de la dépense à l’évolution de la démographie des élèves… L’Education nationale n’utilise pas suffisamment des outils comme les heures supplémentaires pour anticiper les effets d’une démographie scolaire en déclin ». Elle demandait une baisse du nombre des enseignants. Autre idée forte : les réformes pédagogiques « ne suffisent pas à améliorer la performance » de l’Ecole. Il faut s’attaquer à l’organisation de l’Ecole. « Les réformes pédagogiques ont besoin d’une refonte des modes d’organisation du système scolaire, touchant notamment l’autonomie des établissements et les prérogatives des chefs d’établissement… L’école, le collège et le lycée ne disposent pas d’une autonomie suffisante ». Il faut donc déconcentrer l’Ecole et accorder davantage d’autonomie aux établissements et à leurs chefs. Et pour cela il faut que les écoles primaires intègrent un établissement. On retrouve l’idée de donner plus de pouvoirs aux chefs d’établissement et aux directeurs, notamment pou rl’évaluation des enseignants. La Cour défend aussi l’idée de l’annualisation des services, une réforme à même de faire travailler davantage les enseignants sans les payer plus.
Quinze jours plus tôt la Cour avait publié un autre rapport sur « l’absentéisme » des enseignants qui envisageait un nouveau statut des enseignants. « À moyen terme, il conviendrait d’alléger les barrières liées aux rigidités de gestion des enseignants (obligations de service trop strictement hebdomadaires, monovalence, rôle trop limité du chef d’établissement) et d’introduire une plus grande souplesse, faisant appel aux bonnes pratiques développées au sein de certains établissements », expliquait le rapport. Pour la Cour il y a 4 milliards à récupérer sur la gestion des enseignants grace à des évolutions statutaires. La Cour demande l’annualisation et l’obligation de remplacer les enseignants absents et enfin la bivalence dans le second degré. Elle souhaite aussi la fin des accords PPCR pour renforcer l’évaluation au mérite par les chefs d’établissement.
Début mai 2022, la Cour des Comptes revenait sur ces idées dans un référé sur l’évaluation des enseignants. Elle préconise l’évaluation des enseignants par les directeurs et chefs d’établissement pour décharger les inspecteurs et assurer une meilleure reconnaissance du mérite. Enfin en novembre 2021, la Cour s’est attaquée à la formation citoyenne des élèves pour recommander le retour à un enseignement traditionnel axé sur les institutions et la transmission.
La privatisation en marche
Voilà 4 rapports qui proposent une vision cohérente de l’Ecole. C’est celle du Nouveau management public. Cette évolution de l’Ecole vers une gestion inspirée des entreprises, une forme de privatisation de l’Ecole, nous l’avons retrouvé dans les discours d’E Macron les 2 et 3 juin, dans les Job Datings, tout comme dans un récent rapport du Sénat.
Avec la présence de conseillers issus de la Cour des comptes au coeur du ministère, la privatisation de l’éducation, voulue par Emmanuel Macron, va pouvoir prendre son envol. Ce sera probablement le grand oeuvre du quiquennat.
François Jarraud