Ce matin-là, à Héricourt en Haute-Saône, des 3èmes sont convoqués à une réunion spéciale. Des spécialistes en Sciences de l’Éducation viennent recueillir leur avis sur la future réforme du collège : un salaire au mérite pour les élèves, une évaluation permanente grâce à une application numérique… Fausse réunion, l’imposture finit par se dévoiler : elle conduit les élèves à une réflexion collective sur la mécanique du faux et les techniques de manipulation, elle se prolonge par un travail de recherche et de création autour des infox, elle développe esprit critique et vigilance. Quoi de mieux que l’illusion théâtrale pour révéler le théâtre de l’illusion que sont devenus internet et les médias ? Claudia Corini, professeure de français, témoigne sur ce travail d’équipe : « Il nous apparaît clairement que la confiance envers un professeur qui soumet ses élèves à une manipulation fictive dans le but de les protéger contre les multiples formes de la désinformation n’est pas entamée. Cela démontre la confiance et la reconnaissance que les élèves ont en une démarche qui fait appel à leur intelligence et les arme pour comprendre le monde… »
Vous avez convié une de vos classes de Troisième à assister à une « imposture théâtrale » : en quoi consistait-elle ?
L’imposture théâtrale consistait à faire croire aux élèves que les quatre intervenants qui étaient face à eux étaient des spécialistes en Sciences de l’Education venus leur annoncer la nouvelle réforme du collège et recueillir leurs avis pour mieux en ajuster le contenu.
Comment avez-vous monté un tel projet ?
Les intervenants étaient campés par des comédiens spécialisés dans l’improvisation, que j’avais contactés l’année précédant le spectacle en leur demandant si la construction d’une imposture théâtrale pour sensibiliser à la désinformation et pour faire vivre à une classe de Troisième une expérience lui démontrant l’importance de l’esprit critique les intéressait. L’idée a vite été adoptée. La spécialisation de la troupe dans l’improvisation, son intérêt pour le sujet et sa connaissance du public scolaire – car certains comédiens étaient eux-mêmes enseignants – ont été des qualités précieuses pour mener le projet. En octobre, j’ai proposé à la professeure d’Histoire-Géographie de la classe de se joindre à nous, ce qu’elle a accepté avec enthousiasme. Nous nous sommes réunis avec les comédiens plusieurs fois, sur une période de neuf mois, pour en mettre au point la trame, construire les supports du spectacle et répéter le jeu théâtral.
Le sujet sur lequel portait l’intervention était secondaire par rapport à l’objectif de montrer la mécanique de l’imposture, mais il était néanmoins déterminant car il constituait le support sur lequel allait prendre appui l’esprit critique des élèves. Pour cela, il devait à la fois susciter suffisamment leur intérêt et ne pas être trop clivant pour ne pas entraîner des tensions durables dans la classe.
Quel était le contenu de ce faux spectacle ?
Nous avons choisi d’expliquer aux élèves qu’une réforme allait modifier sensiblement leur année scolaire « afin de mieux récompenser leurs efforts ». À partir de là, il nous fallait construire les axes fictifs de notre réforme, axe contenant à chaque fois un vice dans le raisonnement, graine laissée à l’esprit critique des élèves. Ces axes, au nombre de trois, ont été présentés progressivement, à l’aide d’un diaporama, par quatre comédiens en costume et tailleurs, se présentant donc comme des spécialistes en Sciences de l’Education. La première partie du spectacle visait à justifier la nécessité de la réforme, en incluant notamment un débat mouvant, et la deuxième énonçait les trois axes suivants :
– Axe n°1 : une rémunération salariale des élèves pour récompenser le travail scolaire. Le sophisme « Travailler implique des efforts, tout effort mérite salaire, donc votre travail mérite un salaire » présidait à cette annonce. Le vice résidait dans le fait que, « pour des raisons d’équité » – et non d’égalité – les garçons ayant des résultats inférieurs à 8 de moyenne générale toucheraient plus d’argent que les autres élèves. L’égalité garçons-filles et la logique de la récompense pour les « bonnes notes » ont été volontairement mises à mal pour susciter les réactions des élèves.
– Axe n°2 : une évaluation à 360° grâce à une application numérique « NiceEval », « venue des Etats-Unis », pour que chaque élève puisse à chaque instant être évalué « au plus juste » par ses camarades. Les efforts de bonne camaraderie (prise de devoirs pendant les absences des copains…), son investissement dans la vie du collège (délégué…) et son altruisme étaient « enfin » récompensés. Le vice résidait ici dans le fait que cette application, présentée sous son meilleur jour, laissait bien évidemment la porte ouverte à un usage débridé et ouvert à des évaluations injustes et potentiellement motivée par de mauvaises intentions.
– Axe n°3 : un déterminisme basé sur les résultats de la classe de Troisième. Nous avons forcé le trait de ce qui préside déjà à l’orientation, en présentant des tableaux avec des moyennes-seuils « nécessaires pour accéder à telle formation ». Le vice était ici que les moyennes sur lesquelles portait le déterminisme étaient celles de Troisième et que « les jeux étaient faits », excluant le recours à la deuxième chance et à la réorientation.
Il est important de préciser que si nous ne connaissions pas les élèves lorsque nous avons commencé à réfléchir au contenu du spectacle, nous avons très souvent pensé à leurs possibles réactions et avons ajusté l’écriture au fur et à mesure que ma collègue et moi apprenions à les connaître. Avec les comédiens, nous avons souvent fait des liens entre nos idées et la réception que la classe en aurait, cela afin de trouver le bon dosage nécessaire à son implication.
Comment avez-vous organisé la séance pour les élèves ?
Cette séance leur avait été présentée en amont comme une sensibilisation à l’avenir de l’école et, comme elle s’effectuait en salle de réunion (comme d’autres sensibilisations, du type Sécurité routière…), elle n’a éveillé aucun soupçon. Les élèves croyaient donc assister à deux heures d’intervention (de 8h à 10h) et pensaient retourner ensuite en classe. En réalité, ils embarquaient sans le savoir dans une illusion comique qui allait durer environ une heure, revenir ensuite de leurs émotions et discuter de ce qu’ils avaient vécu entre eux et avec les comédiens pendant une quarantaine de minutes et, après la récréation de 10h, réintégrer la salle de classe avec ma collègue d’Histoire-Géographie et moi, pour analyser les ressorts de l’illusion qu’ils venaient de vivre. Les collègues qui devaient avoir la classe lors des deux dernières heures de la matinée avaient été mises dans la confidence.
Comment les élèves ont-ils réagi pendant l’imposture elle-même ?
Pendant les propos des comédiens : beaucoup de langage corporel, du non verbal (haussement de sourcils, regards échangés avec le voisin), regards et questions chuchotées vers nous, les deux professeures qui les amenions à cette intervention.
Pendant les phases de débat au sein du spectacle (nous avions prévu un moment où les intervenants sortaient de la salle et prétextaient rencontrer notre chef d’établissement – mis dans la confidence également – pour que les élèves libèrent entre eux la parole et puissent mieux ensuite la retourner aux intervenants : cette phase essentielle a permis de faire émerger leurs doutes, inquiétudes, contestations, mais aussi enthousiasme et réceptivité face aux divers aspects de la réforme. Notre rôle d’enseignantes consistait à faire circuler ces réactions entre les élèves, en prétendant n’en rien savoir, et les encourager à faire état de leurs remarques entre eux pour ensuite les présenter aux intervenants. Ce qui a été fait et a conduit à un très beau débat final (que nous souhaitions vivement lors de l’écriture du spectacle), porté essentiellement par le courage d’une élève, indignée de l’injustice et de la négativité des différents axes.
Comment les élèves ont-ils réagi après que l’illusion a été dévoilée ?
Directement « à chaud », dans les quelques minutes qui ont suivi : passée la surprise, certains élèves manifestent un grand soulagement (pas « d’évaluation à 360° »), quelques uns une vraie frustration (de ne pas toucher de salaire). Beaucoup demandent plusieurs fois si le contenu du spectacle était bien faux. Très vite, des rires de soulagement et la question du « pourquoi ? » arrivent. Cette question est retournée aux élèves « pourquoi à votre avis vous a-t-on fait assister à une telle imposture ? ». Les réponses arrivent aussi vite : « pour ne pas prendre pour vrai tout ce qu’on nous propose » et « pour développer notre esprit critique ». À leur rythme, les élèves prennent petit à petit l’ampleur de la ruse pédagogique, décryptent les moments de faux, le jeu des comédiens et le nôtre, beaucoup s’en amusent. En parallèle de cette bonne ambiance, tous les adultes rassurent sur la normalité de s’être fait prendre au jeu (certains élèves disent s’en vouloir d’avoir mordu à l’hameçon et se trouvent bien crédules). Nous leur expliquons que tout a été fait pour que l’illusion soit la plus complète possible.
Les enjeux et objectifs pédagogiques sont posés : vivre une expérience du faux et de la manipulation par la désinformation pour mieux comprendre le fonctionnement de cette désinformation et se donner l’opportunité de revenir pour chacun d’entre eux sur l’usage de leur esprit critique et sur la façon avec laquelle ils se sont positionnés. Ont-ils tout accepté ? Étaient-ils d’accord ? Ont-ils creusé quand l’idée exposée ne leur était pas claire ? Ont-ils manifesté leur désaccord ? Étaient-ils intimidés ? Cela les a-t-il paralysés dans le débat ? Ont-ils été influencés par le positionnement du groupe ? Etc.
Dernier moment, « à froid » trois semaines après, un questionnaire leur a été soumis avec quatre questions : Quel est votre ressenti vis-à-vis de l’imposture ? Qu’est-ce que cela vous a appris ? Quel intérêt y voyez-vous ? Êtes-vous content.e d’y avoir participé ?. Il en ressort la grande satisfaction d’avoir bénéficié de cette expérience, malgré la présence parfois de sentiments négatifs (comme celui mentionné plus haut de se sentir ridicule). La frustration sur l’absence de salaire ne réapparaît pas.
Quels sont les éléments d’analyse que le travail a permis d’éclairer quant à « la mécanique du faux », son fonctionnement et ses outils ?
Nous avons montré par l’imposture que donner l’apparence du vrai à quelque chose de faux, (un des principes de l’infox) est à la portée de tous (moyennant du temps et un peu d’imagination).
Les cours qui ont suivi le spectacle ont d’abord analysé la mécanique de ce faux. Tour à tour, l’influence des ingrédients nécessaires à la réussite de l’imposture a été commentée : le code vestimentaire professionnel des intervenants (tailleurs, vestes et cravates), les titres de leurs présentations (« spécialiste en », « docteur en … », « chargé de… » et « formateur en… »), le cadre scolaire, la présence des professeures et leur non-intervention, des supports visuels attrayants (diaporama et vidéos trafiquées), le sondage distribué en début d’intervention aux élèves et le langage des intervenants.
Les élèves ont d’abord constaté que la combinaison de ces éléments légitimait leur adhésion complète. Ensuite, ils ont compris qu’il était possible de remettre petit-à-petit complètement en cause ce qu’ils avaient cru vrai, grâce la décortication des éléments qui étaient partie prenante de l’illusion. Cela leur a permis de réaliser la puissance du faux : eux aussi avaient pu y croire complètement (alors même qu’on est toujours tenté de penser que cela ne peut nous arriver).
Dans un deuxième temps, le langage a fait l’objet d’une étude particulière. Nous avons pris le temps de définir les catégories de la rhétorique (logos, pathos et ethos) et les processus de manipulation que sont le sophisme et les paralogismes informels (techniques de langage comme par exemple la généralisation hâtive, les mots-fouine…). Chacune de ces techniques, décidées au moment de l’écriture et soigneusement placées par les comédiens, a fait l’objet d’une analyse afin d’en montrer la mise en œuvre dans le discours et les effets en terme d’acte de langage dans la situation de communication.
Enfin, troisième et dernier volet de notre décryptage : une sensibilisation aux biais cognitifs utilisés pendant le spectacle (effet de Halo, effet de groupe, biais de confirmation…). L’objectif était de comprendre le rôle de notre cerveau dans le processus de validation du faux et de montrer que notre attitude de rapidité et crédulité est conditionnée par son premier système de fonctionnement, celui qui nous invite à aller au plus simple, contrairement au deuxième système qui est celui de la réflexion et de la construction, et que cette tendance à simplifier est celle qui est manipulée par les infox. Le succès de la désinformation s’explique parce qu’une partie de notre cerveau y est profondément réceptive. Une attention particulière à l’effet de Halo (impact de l’apparence) et à l’effet de groupe a été ménagée car les élèves ont exprimé le fait d’y avoir été particulièrement sensibles : pour l’effet de groupe par exemple, l’élève ayant porté sa voix courageusement lors du débat final a dit l’avoir fait car elle sentait que des camarades étaient du même avis qu’elle. Ce dernier volet se terminait par des recommandations sur des habitudes à adopter pour éviter de se laisser (trop) manipuler par nos biais cognitifs.
Les élèves ont ensuite travaillé sur les fake news : comment les avez-vous amenés à développer leurs connaissances et vigilance sur le sujet ?
La plupart des élèves savaient ce qu’était une infox depuis l’année précédente, le programme de Français de la classe de Quatrième invitant à sa définition dans l’OE « Informer, s’informer, déformer », mais tous ont découvert le fait que notre cerveau est prédisposé par certains biais cognitifs à les croire. Un débat nourri notamment par leur propre pratique des réseaux sociaux a permis de mettre en lumière le fonctionnement de ces derniers : une diffusion basée sur l’émotionnel, faite dans l’instant, propice à la diffusion des infox qui jouent souvent de l’insolite, du comique ou de l’indignation. L’importance du recul et de la démarche de vérification de l’information, à rebours du fonctionnement des réseaux sociaux et du premier système de fonctionnement notre cerveau, est apparue comme un rempart indispensable à l’inondation par le faux. Par ailleurs, un rappel sur les caractéristiques d’une vraie information (contenu portant sur un fait, intérêt collectif et sources vérifiables et pas seulement mentionnées) n’a pas été de trop pour donner des critères concrets de distinction avec l’infox, et, dans le but de lever les doutes à la lecture d’une information trouvée sur internet, les noms de sites luttant contre les infox comme Hoaxbuster et le Décodex ont été communiqués.
Enfin, pour permettre aux élèves un réinvestissement de ce travail en vue de l’oral du DNB, une réflexion sur l’expérience du photojournaliste Jonas Bendiksen menée avec The Book of Velès est en cours de construction.
Les élèves ont enfin été invités à présenter devant la classe une vraie info ou une infox : quels ont été le dispositif, les propositions des élèves, les intérêts de cette activité orale ?
Nous souhaitions que les élèves puissent se mettre dans la posture de création du faux, tout en se sensibilisant aux caractéristiques de vrais contenus informatifs. Ils devaient donc préparer deux exposés de 5 minutes maximum chacun (temps de l’épreuve orale du DNB) portant l’un sur une vraie actualité et l’autre sur une infox. Chaque élève n’en présentait qu’un seul (au dernier moment, la professeure lui intimait de passer soit sur l’info, soit sur l’infox).
L’intérêt était de réinvestir les différents éléments de langage, de jouer sur l’ethos, le pathos et le logos pour convaincre l’auditoire (la classe) de la véracité du contenu présenté. Le fait de préparer les deux exposés en parallèle permettait à l’élève de bien se représenter la pluralité du contenu informatif d’un vrai article et de le calquer lors de la création du faux. Le débat était ensuite mené sur ce qui avait été présenté.
Si les élèves se sont bien investis dans cette préparation, les travaux présentés étaient de qualités variables et ont permis de lever des confusions en ajustant le champ notionnel de notre séquence qui portait sur “l’infox” mais excluait la notion de “théorie du complot”. En effet, un élève a présenté un exposé développant l’infox suivante “les crabes, ces envahisseurs” usant de l’économie et de la rhétorique d’un propos complotiste. L’opportunité nous a donc été donnée de bien différencier l’infox (portant sur un fait unique, potentiellement à visée satirique, pouvant donc jouer de plusieurs registres et diffusée dans le but de désinformer) de la théorie du complot (désignant systématiquement un groupe de conspirateurs, thématisant une machination secrète souvent à la géographie bien étendue, usant d’une rhétorique caractéristique à « l’absence du hasard » et diffusée dans le but d’éclairer le reste de l’humanité) ; la remarque selon laquelle l’infox était toujours un des ingrédients du complotisme sans nécessairement l’impliquer elle-même a achevé de montrer brièvement l’articulation des deux notions.
Parmi les autres propositions d’infox, certaines étaient trop invraisemblables (« la Reine d’Angleterre a tué Lady Di elle-même », « Eric Zemmour a fait de la chirurgie plastique pour ressembler à Mr Burns, son héros des Simpsons », « Thomas Pesquet ouvre un restaurant à bord de l’ISS »), ou mal argumentées (sur l’incendie de Notre-Dame qui était présenté comme volontaire, l’enchaînement des faits étaient peu convaincant) mais certaines étaient vraiment très réussies (« Un vaccin contre la sclérose en plaques trouvé grâce à du venin de mamba noir » et « Une attaque terroriste en Israël due aux tensions en Syrie »). Un élève a eu la subtilité d’opérer avec succès un cheval de Troie dans son exposé : il a endormi la confiance de tous ses camarades en présentant la greffe de cœur de porc réalisée début 2022, connue de la classe, et a ensuite basculé sur des recherches scientifiques actuelles impliquant des poils de chauve-souris pour pallier la calvitie, sans varier le moins du monde l’actio de sa présentation !
Au final, quel bilan tirez-vous du travail mené ?
À plusieurs niveaux, le bilan est positif. Avec ma collègue, nous avons constaté que des élèves plutôt discrets se sont beaucoup mobilisés, notamment lors les débats sur les exposés. L’implication des élèves a été le réel point fort de cette séquence. Nous sommes conscientes du fait que tous les fruits de ce projet ne peuvent se mesurer uniquement à l’exposé demandé et que c’est sur le long terme, dans leur lecture des actualités, dans leur décryptage du flux informationnel des réseaux sociaux, que les élèves en sentiront les effets. Nous envisageons de garder contact avec nos élèves par l’intermédiaire d’un retour de questionnaire dans un ou deux ans pour mieux évaluer l’apport du spectacle. Nous nous réjouissons par ailleurs que le projet ait pu être source de débats entre la quasi totalité des élèves et leurs parents, sur les infox et sur l’imposture théâtrale en elle-même, comme cela nous a été rapporté.
L’illusion comique comme usage pédagogique a fait l’objet d’un questionnement très tôt dans notre démarche, car nous ne l’avions jamais mis en œuvre. Le principe du spectacle reposant sur une manipulation par la désinformation nous amenait à nous interroger sur l’impact émotionnel, sur l’éthique de l’illusion et de ses outils et nous appelait à une constante vigilance pendant le spectacle. Mais nous étions convaincues qu’un enseignement mené à partir d’une expérimentation par les élèves sur la puissance des techniques de manipulation des différentes formes de désinformation serait efficace. Et le déroulé de l’expérience et les séances qui ont suivi nous ont confortées dans l’élection de cette modalité pédagogique. Le travail de décortication de la manipulation a permis de justifier, aux yeux des élèves, l’importance d’utiliser leur esprit critique pour avoir une lecture éclairée des contenus informatifs auxquels ils ont été exposés dans le spectacle (et sont et seront dans leur quotidien bien réel). Par ailleurs, l’intégration d’une dimension réflexive, permettant d’opérer un retour sur leurs réactions pendant le spectacle en vue de mieux se connaître, a été appréciée.
Il nous apparaît clairement maintenant, c’est-à-dire deux mois après avoir mené l’imposture et la réflexion sur la mécanique du faux, que la confiance envers un professeur qui soumet ses élèves à une manipulation fictive dans le but de les protéger contre les multiples formes de la désinformation n’est pas entamée. Cela démontre la confiance et la reconnaissance que les élèves ont en une démarche qui fait appel à leur intelligence et les arme pour comprendre le monde (et celles aussi de certains parents qui nous ont transmis des félicitations sur le projet).
Il est enfin à noter que l’administration de notre établissement a joué un rôle-clé en nous apportant son soutien à toutes les étapes : au début, par l’acceptation du principe de l’imposture et dans l’engagement à le financer, juste avant, en gardant le secret et en mettant à notre disposition la salle de réunion, et même pendant, avec à la complicité du chef d’établissement qui a accepté que son nom soit cité dans le spectacle. L’équipe administrative du collège a indéniablement contribué à la réussite du projet.
Nous concevons cette expérience comme un apport dans leur réflexion sur l’apparence du faux, sur le traitement de l’information mais aussi plus intimement dans la connaissance que les élèves ont d’eux-mêmes, dans leur capacité à oser faire entendre leur voix et oser porter leur parole dans des situations délicates. Ensuite, en terme de dynamique de groupe, nous notons un climat de confiance et même un relationnel soudé, sans doute le fait d’avoir vécu une expérience collective forte y contribue-t-il. Enfin, en terme d’apport professionnel, c’est une belle aventure, porteuse intellectuellement et riche humainement.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut