Peut-on donner de l’air à un enseignement du français au lycée que le bachotage rend étouffant ? Peut-on donner du sens à des épreuves du bac qui semblent n’avoir d’autre finalité qu’elles-mêmes ? A Montpellier dans le quartier populaire de La Paillade ont collaboré en ce sens Nourdine Bara, auteur et animateur du projet « Cours dehors », et Marie-Hélène Gosse, professeure de lettres. Principe de « Cours dehors » : un groupe déambule dans la ville et au fil de son parcours rencontre 5 invité.es pour échanger sur un thème donné. Adaptation Epreuves Anticipées de Français (EAF) : le groupe rencontre 5 élèves qui présentent le livre choisi dans la 2ème partie de l’oral et s’entretiennent avec les marcheurs et marcheuses du quartier. Un dispositif inspirant pour travailler la prise de parole, donner un réel destinataire à la lecture, favoriser la mixité sociale et culturelle : et si on déconfinait le bac lui-même ?
Pourquoi le choix de jouer un « oral blanc » de l’EAF à l’extérieur de l’établissement ?
Nourdine Bara – Cette action est une déclinaison du dispositif « Cours dehors », une action qui propose un prolongement du programme scolaire sur l’espace public. De cette proposition, en tant qu’organisateur, j’attendais qu’un échange entre lycéens et un tout public soit de nature à communiquer à ces jeunes ce courage, cette confiance nécessaire à la perspective de ce grand rendez-vous qu’est l’oral du bac. Je voyais aussi dans cet évènement l’occasion de créer un happening littéraire, en mettant des élèves dans exercice de présentation, dans la rue, au micro, de livres qu’ils pourraient à avoir à défendre le jour de l’oral. Pour le public, c’était aussi un instant où opérer une promotion de la lecture, des auteurs…
Marie Hélène Gosse – Nous souhaitions proposer un niveau de difficulté supérieur aux élèves afin de mieux les préparer. Faire passer les oraux dehors et devant un public est l’occasion de se confronter à des difficultés inattendues, ce qui impliquera la mobilisation de nombreuses compétences. Avec ce type d’exercice nous visons une formation aux oraux en général (grand oral de terminale, soutenance ou encore entretien d’embauche). Savoir prendre la parole en public est donc l’ambition recherchée. Cette mise en pratique permet la concrétisation des méthodes et connaissances abordées en cours, et surtout l’expérience vécue est plus impactant, marquante, elle s’enregistre sans besoin de révisions. Les « cours dehors » offrent la possibilité d’un apprentissage rapide, concret et efficace.
Comment l’action a-t-elle préparée avec les élèves ?
Marie Hélène Gosse – L’action arrive après un stage intensif de préparation pour le bac de français basé sur l’acquisition des méthodes (commentaire et explication linéaire). La priorité y a été donnée à la culture littéraire « basique » : il nous est apparu essentiel de revenir sur les bases tels que les mouvements littéraires, les figures de styles et autres registres. A l’issue, l’occasion leur a été offerte de passer à l’oral dans le cadre des « cours dehors ». En très peu de temps, deux séances, les élèves ont dû choisir un livre, collecter des informations et rédiger la fiche pour la présentation.
Nourdine Bara – J’ai proposé à l’enseignante cette idée. Elle faisait suite à un premier exercice très similaire qui a conduit ses lycéens à venir présenter sur l’espace public, les exposés de chacun pour le grand oral du bac. Mon travail est seulement d’imaginer ce genre de dispositif, sa mise en espace, de déterminer un parcours dans la ville, et de conduire à public à y participer.
Y-a-t-il eu des surprises, heureuses ou non ?
Marie Hélène Gosse – J’ai été agréablement surprise de voir des élèves prendre plaisir à présenter un exposé oral et surtout répondre aux questions du public, ce qui souligne leur réactivité. Ensuite il faut souligner qu’ils ont pris avec beaucoup d’attentions les remarques du public.
Nourdine Bara – Mon plus grand bonheur est de voir des passants s’arrêter, écouter, prendre le micro quelques fois et interpeler les élèves. Et quand ces « Cours dehors » ont lieu dans un quartier aussi populaire que la Paillade, le spectacle de ce groupe d’élèves, d’un public venu du centre, tout cela participe à créer, aussi éphémère soit-elle, une mixité dont le quartier a terriblement besoin. Tout ça participe d’un ré-enchantement recherché.
Au final, à la lumière de l’expérience, le dispositif vous semble-t-il pertinent pour les élèves ?
Marie Hélène Gosse – Ce dispositif est un outil pédagogique d’une rare qualité. Il permet en un temps relativement court de mettre en pratique des heures d’enseignement. À travers ces « cours dehors », c’est une véritable formation pratique qui permet aux élèves d’appréhender la réalité de l’oral. Plus qu’un oral, il s’agit de l’apprentissage du savoir-être, un acquis précieux pour le reste de leur scolarité et même au-delà.
Nourdine Bara – J’ai imaginé ces rencontres alors que la scolarité des élèves était vraiment mise à mal par les confinements à répétition. C’est un regard sur l’avenir qui s’est vu hypothéqué par la crise sanitaire. Je voulais absolument conduire à l’incarnation ces enseignements qu’on leur communique à l’école, par des témoins qui les vivent d’une manière ou d’une autre… Il s’agissait de redonner tout son sens, toute son importance à des cours en classe, des cours qui ont pu perdre prise avec un futur de plus en plus incertain pour des élèves. Il s’agit de leur dire que leurs cours, et les rêves qui orientent une scolarité, à n’en pas douter, auront une suite bien concrète après l’Ecole.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut