Comment engager les élèves dans la lecture, collectivement et individuellement ? Peut-on imaginer pour cela d’autres voies que les traditionnels contrôles de lecture ou que les rituels quarts d’heures de lecture ? Au collège Didier Daurat à Mirambeau, pour vérifier l’appropriation par ses 4èmes de la nouvelle de Maupassant « La Rempailleuse », Aurore Delubriac a tenté la piste de l’escape game. En groupes, les élèves sont ainsi amenés à résoudre des énigmes pour témoigner de leur connaissance de l’œuvre et des notions travaillées au cours de la séquence. Le projet s’avère stimulant parce que fédérateur, vivant et ludique : transférable ? Eclairages et conseils de l’enseignante …
Vous avez créé un escape game pour vérifier la lecture cursive par les élèves de la nouvelle La Rempailleuse de Maupassant : pourquoi avoir choisi ce dispositif original ?
Il m’importe de me réinventer et de proposer des activités attractives qui puissent emporter l’adhésion des élèves, les motiver et les faire progresser. L’escape game est en vogue en ce moment et la ludification, parce qu’elle implique une posture active de l’apprenant, est préconisée par les sciences cognitives en raison des plus-values qu’elle permet au niveau des apprentissages. En outre, parce qu’elle développe des capacités de coopération et collaboration, et forcément de savoir-vivre ensemble, cette mise en œuvre me semblait tout indiquée après une période où nos jeunes ont vécu confinés et à une époque où les relations sont limitées en raison du contexte sanitaire. Je voulais fédérer autour d’une lecture.
Quel est le principe du jeu ?
Je suis partie de la dédicace pour construire mon scénario. Je voulais vérifier la lecture et la compréhension de la nouvelle La Rempailleuse de Maupassant donnée à lire de manière cursive et m’assurer que le registre réaliste était compris. J’ai pour cela imaginé un scénario vraisemblable.
Le principe du jeu est de résoudre des énigmes qui permettent de vérifier la lecture et compréhension de la nouvelle, ainsi que l’apprentissage et l’assimilation des notions travaillées au cours de la séquence dédiée à la nouvelle réaliste (le récit cadre et le récit encadré, la conjugaison et les emplois des temps du récit au passé, les bouleversements chronologiques notamment).
Pouvez-vous nous présenter les énigmes à résoudre ?
Les énigmes sont en fait des activités à réaliser sur tablette ou sur support papier. Il s’agit pour commencer de retrouver dans quel recueil la nouvelle a été publiée afin de reconvoquer les notions de récit cadre et encadré. Les élèves doivent pour cela reconstituer un puzzle ou déchiffrer un code. Ils doivent ensuite remettre dans l’ordre un résumé de l’histoire ou répondre à des questions de compréhension sous forme de QCM. Puis je leur demande de reconstituer le portrait des deux personnages principaux en associant à chaque personnage ses caractéristiques morales et physiques, afin de mettre en lumière leur opposition. Ils s’adonnent par la suite à un jeu du type « Qui veut gagner des millions ? » afin de mettre à jour l’usage des temps dans la nouvelle. Il leur est enfin demandé de trouver les deux thèmes explorés dans l’œuvre en réalisant un coloriage TXL, en décodant deux anagrammes, en retrouvant dans la classe des objets en lien avec l’amour et l’argent ou en réalisant un puzzle circulaire (ConcentrX) afin de récolter les indices qui permettront de trouver la cache du cryptex et le code qui l’ouvrira.
Chaque groupe doit donc résoudre 5 énigmes qui conduisent à la découverte du cryptex et de son code d’ouverture. A l’intérieur, ils trouveront la résolution de l’enquête qu’ils doivent mener, c’est-à-dire comprendre pourquoi la nouvelle est dédicacée à Léon Hennique (le scénario est inventé de toute pièce), ainsi qu’un ultime défi. Il s’agit de lire un texte en lipenchais qui présente une mise en perspective historique de la nouvelle et ses enjeux.
Comment les élèves se sont-ils emparés du dispositif prévu ?
Les élèves étaient très excités par l’activité proposée. Je les avais avisés en amont de cette mise en œuvre ludique ainsi que de la constitution des groupes afin d’éviter de perdre du temps. Pour rendre la mise en œuvre plus efficiente et permettre la différenciation, j’avais réparti les élèves par groupes de compétences. Le jour de l’escape game, ils ont été surpris par la disposition de la classe. En effet, en fonction des activités, je modifie le positionnement du mobilier dans la salle. Sachant que chaque groupe allait amener sa pierre à l’édifice pour permettre l’ouverture du cryptex, tous les élèves se sont prêtés au jeu. Cette responsabilité les a tous mobilisés, ainsi que le fait que chaque activité présente un niveau de difficulté surmontable parce qu’adaptée aux compétences de chaque groupe.
Ils ont apprécié de pouvoir librement se déplacer dans la classe et chercher les indices. L’alternance d’activités numériques et manuelles, d’énigmes avec ou sans lien avec le cours, les a en outre séduits. Ils étaient globalement à l’aise. J’avais prévu des aides pour les élèves qui peinaient malgré les activités différenciées : texte intégral avec des passages surlignés pour les aider à remettre dans l’ordre le résumé de l’histoire et répondre aux questions de compréhension, fiche de mémorisation active sur les emplois et la conjugaison des temps du récit au passé, dictionnaire et Bescherelle pour les accompagner dans les activités de langue.
Quel rôle joue l’enseignante pendant le déroulement du jeu ?
L’enseignant est un guide qui va aider par son questionnement les élèves à cheminer pour arriver à résoudre l’énigme ou réaliser l’activité, et qui, le cas échéant, va également leur apporter des aides si des blocages persistent. L’enseignant est en outre un maître du temps – les élèves, pris dans le jeu, ont tendance à oublier le minuteur qui défile au tableau.
Au final, quelle vous semble la plus-value d’un tel escape game par rapport à des dispositifs plus traditionnels de vérification de la lecture ?
Cette mise en œuvre mobilise tous les élèves et est moins fastidieuse et rébarbative qu’un questionnaire de lecture ou un QCM. Elle est également moins stressante car chacun met ses compétences au service du groupe. Les élèves sont pleinement acteurs. Et pour ceux qui n’avaient pas lu la nouvelle, cette activité leur a permis de découvrir le texte de Maupassant et d’en comprendre l’enjeu.
La mise en œuvre d’un escape game peut effrayer des collègues : le dispositif vous semble-t-il transférable ? quels conseils donneriez-vous aux collègues ?
Ce type d’activité est transférable pour introduire une œuvre, une notion littéraire ou langagière. On peut également proposer aux élèves de construire un escape game qui sera proposé à d’autres élèves de l’établissement. Cette activité est très intéressante puisqu’en construisant le jeu, les élèves s’approprient l’œuvre ou les notions, et développent leur créativité. Mes élèves se sont plu, par exemple, à construire un escape game sur la conjugaison et l’emploi des temps du récit au passé.
Je ne cacherai pas que construire un escape game demande beaucoup de travail. Il faut au départ rester modeste. Mais le jeu en vaut la chandelle : entendre les remerciements qui fusent à l’issue de la séance est gratifiant et ô combien stimulant! Aussi je préconise de commencer par s’approprier et tester un jeu conçu par un collègue avant de se lancer dans l’aventure. Je me suis pour ma part beaucoup inspirée des escape games élaborés par des collègues de différentes disciplines que l’on trouve sur le site S’cape qui propose en outre une boîte à outils avec les indispensables pour construire un escape game.
Je terminerai par ces mots de Théodore Roosevelt : « Il y a quelque chose de pire dans la vie que de n’avoir pas réussi, c’est de n’avoir pas essayé ».
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Présentation et ressources sur le site lettres de l’académie de Poitiers