« Je souhaite que mes élèves aient un rapport doux avec ma matière » : tel est le vœu d’Amandine Micault, professeure au collège Le Mont des Princes » à Seysell en Haute-Savoie. Préférer le plaisir d’apprendre à l’angoisse de réussir : ne serait-ce pas le vœu de nombreux élèves ? Amandine Micault nous livre quelques clefs de son travail en ce sens : un cahier annuel d’écrivain en 6ème, des sujets d’écriture créative donnés chaque semaine, une grande importance accordée à l’image et au visuel jusque dans le travail de la langue, la mise en œuvre d’un climat et d’un espace bienveillants … Avec comme moteur et comme récompense, le bonheur de l’enseignante elle-même, portée par sa créativité, inventant des « façons détournées » de faire voyager ses élèves avec elle, « à la rencontre d’auteurs, de textes, de mots ».
Votre beau site de professeure de français s’appelle « la légèreté des lettres » : est-ce à dire qu’il s’agirait de combattre certaines lourdeurs possibles de la matière pour rendre les choses plus soutenables ?
Pas vraiment, je n’aime pas cette notion de combat. Je considère ma salle de classe comme une « bulle », où chacun est libre d’être soi, avec tout ce que ça induit au niveau de l’authenticité, de l’implication, du rapport à l’erreur. Je souhaite que mes élèves aient un rapport doux et le plus simple possible avec ma matière. Il s’agit de prendre plaisir, d’essayer, et même de sortir de sa zone de confort, parfois.
Vous invitez chaque élève à tenir tout au long de l’année un « cahier d’écrivain » : comment le dispositif fonctionne-t-il ?
En début d’année, je demande aux élèves de prévoir un petit cahier (format A5) prévu à cet effet. Puis, une fois par semaine je donne un sujet à partir duquel les élèves écrivent une quinzaine de lignes. Nous échangeons des idées pendant quelques minutes en classe, puis ils ont une semaine pour faire le travail. Le jour J, 5 élèves volontaires (ou tirés au sort, suivant leur motivation …) lisent leur texte devant la classe. C’est toujours un moment très apprécié, et certains élèves se sont découvert un talent insoupçonné. La variété des sujets permet également à chacun de pouvoir se révéler un jour ou l’autre. J’ai ainsi vécu en classe des moments assez émouvants ou drôles lors de ces lectures.
Vous leur proposez des sujets d’écriture qui prennent comme supports des photographies ou des courts-métrages : pouvez-vous nous donner quelques exemples de sujets ?
Sur un padlet, j’ai regroupé une trentaine de visuels qui sont supports de sujets d’écriture. Voici quelques exemples, toujours en lien avec des images dont s’inspirent les élèves : « Que penseriez-vous si votre médecin arborait ce look ? », « Vous devez sauver 3 choses de la maison de vos voisins qui brule : lesquelles ? pourquoi ? », « On vient d’inventer une pilule permettant d’effacer à jamais les souvenirs : faut-il la légaliser ? », « Ecrivez le discours prononcé par ce personnage hors du commun », « Imaginez que vous devenez minuscule pendant une journée… », « C’est étrange, pensa Cupidon, je ne me suis jamais trompé de personne comme aujourd’hui… », « Ecrivez une lettre de rupture à n’importe quel destinataire (excepté un humain) », « Imaginez une classe du manuel : Comment survivre dans une classe ennuyeuse »,…
En quoi l’image vous semble-t-elle aider les élèves dans leur travail de l’écriture ?
Je trouve que l’image dédramatise l’exercice d’écriture, elle le rend davantage accessible à tous. C’est un déclencheur assez puissant. C’est aussi un moyen d’accrocher les élèves. J’aime le moment où nous découvrons le sujet tous ensemble. Nous prenons le temps d’échanger quelques minutes, et les idées sont parfois très différentes de l’un à l’autre…
En quoi le travail sur la langue vous semble-t-il aussi pouvoir se renouveler en passant par le visuel ?
Plus j’avance dans ma pratique, plus je me dirige vers une simplification des leçons. Le support visuel est un outil très efficace. Il a également l’avantage de déclencher l’intérêt des élèves, par son aspect esthétique et ludique. Je crée d’ailleurs de plus en plus de leçons à manipuler, qui permettent à l’élève d’être actif dans la construction de la leçon. Bureau des conjugaisons, rose des vents du passé simple, arbre des temps … ces trois leçons, qui ont un certain succès auprès des élèves, ont été le fruit d’une réflexion menée ensemble, en classe. Nous y revenons souvent : par exemple je demande régulièrement aux élèves de fermer les yeux, de s’asseoir à leur bureau de conjugaison et d’ouvrir le tiroir du pronom « TU », pour se remettre en mémoire les différentes terminaisons possibles.
Votre site fourmille d’idées inspirantes : par exemple, en quoi consiste l’activité « ce que portent mes mains » ? comment les élèves s’en sont-ils emparés ?
Cette activité est directement inspirée par une blogueuse dont j’apprécie le travail : Amélie (@Bambichoses). Je m’inspire d’ailleurs beaucoup de ce que je découvre chez des créateurs ou des artistes comme Zuzgwang A la manière de l’activité « derrière le masque » que j’avais proposée au retour du 1er confinement, je souhaitais que les élèves fassent une introspection et réfléchissent en cette période de « bonnes résolutions » à ce qu’ils souhaitaient laisser derrière eux et ce qu’ils avaient envie de construire dans le futur. Beaucoup d’élèves se sont pris « au jeu » et ont saisi l’occasion de s’exprimer sur des choses qui leur tiennent à cœur. Certains travaux rendus étaient très recherchés et ont démontré un investissement sincère et touchant.
Votre enseignement accorde une grande importance au bien-être des élèves : pouvez-vous donner quelques exemples d’outils intéressants pour favoriser cet épanouissement ?
Je dirais que c’est la clé de ma façon d’enseigner : un élève angoissé, inquiet, craintif, ou qui a peur de se tromper ne peut apprendre dans de bonnes conditions. J’ai à cœur de faire en sorte que chacun ait sa place, quelles que soient ses capacités, et surtout quelle que soit sa personnalité. Je crois beaucoup à l’effet de groupe, qui peut permettre à chacun de progresser mais surtout de se sentir légitime. Pour favoriser un climat bienveillant et respectueux, je me remets d’abord très souvent en question, et je fais attention aux besoins des élèves. J’essaie d’être à l’écoute de chacun, et je veille à rester authentique, moi aussi. Je travaille tout au long de l’année sur l’expression des besoins et sur la communication en général (j’ai suivi un stage sur la Communication Non Violente qui m’a été vraiment précieux). Par ailleurs, j’ai la chance d’avoir une salle qui m’a été attribuée : je m’efforce donc d’en faire un espace accueillant, avec deux coins lecture, une bibliothèque de classe, une boîte aux lettres, une « porte-bonheur » où j’affiche les moments et les réussites des élèves qui m’ont marquée dans la semaine. En tant que professeure principale, je propose également des ‘activités pour souder le groupe classe (vies de classe à thèmes, jeux coopératifs, classeur de vie de classe, bocal des fiertés…).
La créativité, celle de vos élèves, la vôtre, apparaît aussi comme un moteur de votre enseignement : à la lumière de votre expérience, quels en sont les intérêts, pour eux et pour vous ?
En effet, je dois dire que c’est le deuxième point « fort » de mon enseignement. Depuis toujours j’aime « bricoler » : dessiner, peindre, faire du collage … J’aime les couleurs, les matières, je suis très sensible à l’esthétique des choses. Et ce penchant pour la création s’est vu tout naturellement associé à mon travail depuis quelques années. C’est stimulant pour moi, tout d’abord, car je prends véritablement plaisir à élaborer mes cours, notamment les tâches finales et les ateliers d’écriture comme celui sur le thème de la lune. C’est une façon « détournée » d’emmener les élèves avec moi, à la rencontre d’auteurs, de textes, de mots … C’est une manière de travailler différente, et valorisante : souvent les productions sont lues, partagées, exposées … Cela donne du sens à ce qui est vu par ailleurs en cours. C’est un prolongement qui crée une certaine émulation et qui permet aux élèves de s’approprier ce qui a été étudié de façon originale.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut