Remis en mai au ministre mais publié le 14 juin, le rapport Obin sur « la formation des personnels de l’Education nationale à la laïcité » propose un vaste plan de formation qui entend imposer à tous les personnels de l’Education nationale la version très spéciale de la laïcité portée par son auteur. Selon un scénario très classique, le rapport commandé par le ministre se transforme immédiatement en décisions. Tout cela se fait dans le climat pré électoral marqué par la loi séparatisme. L’Education nationale est mobilisée pour accompagner cette campagne. Ce qui marque dans le rapport et peut-être demain dans les formations c’est la tentative de rompre avec la conception de la laïcité qui fait sens aux yeux des enseignants et dans l’Etat en général. Cette tentative a t-elle un avenir passé 2022 ?
Des formations pour les personnels EN
Dans un communiqué du 14 juin JM Blanquer annonce « un ambitieux plan de formation initiale et continue » sur la laïcité. Selon un schéma classique, le ministre décline tout un programme de formation. D’abord celle de 1000 formateurs qui ensuite essaimeront des formations « dans chaque école, collège ou lycée ». A la clé un « référentiel commun de compétences et de contenus ». Sont annoncés aussi deux ouvrages rédigés par le Conseil des sages de la laïcité, une structure crée par le ministre où dominent des personnalités proches de ses idées.
Un rapport dénonciateur
Rien d’extraordinaire dans ces annonces. Ce qui est plus nouveau c’est le rapport Obin. Reposant sur aucune argumentation, le rapport prévoit de changer en profondeur la conception traditionnelle de la laïcité qui s’est installée dans l’Ecole et généralement l’Etat. C’est une définition très négative. La laïcité n’est pas définie. Ce qui est désigné ce sont les adversaires et les idées ennemies. Le rapport est ainsi lardé de remarques fielleuses.
Pour JP Obin il est « surprenant » que la diversité soit « fréquemment citée » dans les valeurs de la République et dans des formations académiques. Il dénonce aussi des formations » aux approches parfois discutables telles que « Lutte contre les stéréotypes de genre », « Lutte contre les discriminations » ou « Formation de formateurs à la diversité » ». JP Obin a la solution : il faudra écrémer les formateurs actuels pour ne garder que ceux qui sont conformes à lapenséejeanpierreobin. De même il appelle à mettre dans les jurys de recrutement des enseignants de « nouveaux profils de personnes » conformes à lapenséejeanpierreobin.
Il dénonce « l’autonomie universitaire et le corporatisme enseignant » comme des risques pour ses formations à la laïcité. Cela nous vaut un paragraphe sur » les dérives idéologiques que l’on connaît et qui affectent certains départements universitaires de sciences humaines ont pénétré quelques instituts, comme le montrent certaines pratiques et certains projets de maquette. En guise de formation à la laïcité, on inflige parfois aux étudiants des cours ou des mémoires portant sur la « déconstruction » du discours officiel sur la laïcité, prétendant mettre à jour le « racisme systémique » d’un Etat « post-colonial » et « islamophobe » ». Ce souci purificateur n’oublie pas le kit pédagogique de 2015 « au ocntenu parfois discutable et dont le Conseil des sages n’a jamais été saisi ».
Sous couvert de laïcité le rapport propose en fait une police de la pensée et une chasse aux sorcières dans un climat de guerre intérieure. On est dans la mobilisation des esprits de la façon la plus lourde possible.
Peut-on changer la culture pédagogique ?
JP Obin n’apporte aucun argument pour étayer ses choix. Tout au juste mentionne t-il « comme nous l’a confié une directrice d’école ».On n’avait pas plus de sérieux dans son texte de 2004. On apprend quand même dans le rapport que seulement 1% des demandes de formation des professeurs des écoles concerne la laïcité et qu’on n’est pas plus enthousiaste chez les cadres. Le prophète est bien seul dans son pays (ministre exclu).
On sait déjà que le nombre « d’incidents » remontés au ministère est infime (un millier pour 12 millions d’élèves) et qu’il n’évolue pas malgré tout le racolage pour donner de l’importance à de menus faits.
François Lorcerie a bien expliqué ce qui sépare cette conception de la laïcité de celle des enseignants. » Pédagogiser les dites « valeurs de la République » – en fait les valeurs au fondement de nos démocraties –, plutôt qu’attendre les écarts pour les sanctionner et claironner les sanctions : c’est de fait une stratégie gagnante en matière d’éducation, c’est la stratégie gagnante », expliquait-elle dans le Café pédagogique. « C’était l’idée de Najat Vallaud-Belkacem aussi. Sans compter qu’elle est au programme de l’enseignement moral et civique (EMC). Elle suffit à elle seule à expliquer le peu de réponses des enseignants et chefs d’établissement, qui constituent le troisième échelon du dispositif Blanquer, aux sollicitations pour faire des signalements d’« atteintes ». Les supposées « atteintes » ne sont pas catégorisées comme telles sur le terrain, mais comme des opportunités d’apprendre individuellement et collectivement. Et c’est perçu par les équipes comme suffisamment important, suffisamment vital parfois, pour ne pas risquer d’abîmer un processus éducatif qui s’amorce ou qui s’affirme, en remplissant des fiches de signalements conformes aux vœux du ministre, – au risque de voir fuiter dans les médias des versions scénarisées de la vie de telle ou telle école. »
Pour elle le discours ministériel, dont JP Obin n’est qu’un héraut, a peu d’avenir face à l’exigence éducatrice que ressentent les enseignants. Ce que les enseignants et l’institution éducation nationale pratiquent c’est une éducation à la liberté, à l’égalité, à la fraternité ce qui passe, malgré JP Obin, par la lutte contre les discriminations, le racisme et l’antisémitisme et par la priorité donnée aux droits de l’Homme.
Il est vrai que toute l’action de JM Blanquer depuis 2017 vise la destruction de la culture pédagogique française et le remplacement des personnalités qui l’incarnent. Pourtant, toute cette communication ministérielle sur une laïcité d’exclusion a peu d’avenir dans le système éducatif. Mais il est probable que son objectif soit ailleurs. Et beaucoup plus important. Il ne s’agit pas de changer les valeurs de l’Ecole mais de préparer les élections.
François Jarraud