Peut-on, en ces temps de distanciation sociale et pédagogique, continuer à faire de la classe un collectif ? Comment en particulier en faire une communauté autour de la lecture ? Valérie Droin enseigne le français au lycée Marie Curie à Échirolles. Durant le confinement du printemps 2020, ses premières ont partagé dans des « boucles de lectures » leur point de vue sur une œuvre susceptible d’être présentée à l’oral de l’EAF. Le dispositif parait simple : réaliser une production audio ou vidéo, l’envoyer en pièce jointe de courriel dans la liste de diffusion de la classe, écouter et commenter le travail des autres élèves. Il s’avère aussi très profitable, tant il favorise une appropriation personnelle des œuvres, tant il renforce la proximité non seulement avec les autres, mais aussi avec la littérature elle-même.
Qu’est-ce qu’une « boucle de lectures » ?
Une boucle de lectures est un cercle de partage de lectures entre élèves, mais virtuel. Il s’agit pour chaque élève de livrer à l’oral un point de vue personnel, critique et argumenté sur une œuvre lue.
Vous avez mis en œuvre ce dispositif durant le confinement du printemps 2020 : dans quel cadre ?
Le dispositif a été mis en œuvre en 1ère. Au préalable, les élèves et l’enseignant ont communiqué par courriel dans un groupe créé à l’occasion du confinement et tous les choix possibles d’œuvres à présenter étaient connus des élèves. Afin de préparer l’oral de l’EAF dans sa 2eme partie, les élèves ont été invités dès le mois de mars, à entrer dans une boucle de partage de lectures virtuelle. Une petite méthodologie leur a été suggérée à cette occasion et un vent de liberté leur a surtout été insufflé afin qu’ils expriment pleinement leur appropriation de l’œuvre.
Quelles étaient précisément les consignes ?
Voici la méthodologie proposée aux élèves : choisir une œuvre à présenter à l’oral de l’EAF ; choisir le support (audio ou vidéo) ; mobiliser les connaissances littéraires liées à l’œuvre (genre, contextualisation historique, culturelle, biographique…) ; réfléchir sur le monde présenté dans l’œuvre, ses questionnements, ses liens possibles avec l’époque contemporaine ; choisir une problématique ; réfléchir aux divers liens entretenus avec cette œuvre ; répondre à la problématique de façon argumentée ; illustrer éventuellement le travail par d’autres œuvres culturelles ; ne pas rédiger entièrement le travail, mais faire un plan ou un schéma ; surligner en couleurs les citations directement dans l’œuvre et mettre des marque-pages repositionnables. ; s’entraîner à l’oral, devant son miroir, ses proches, ses amis par téléphone, sa caméra ; s’enregistrer sur fichier audio ou vidéo.
Comment s’opère le partage des productions ?
Les productions ont été partagées sur le groupe virtuel car elles ont été envoyées en pièce jointe dans la boucle du groupe classe. Les élèves ont pris le temps d’écouter les lectures de leurs camarades et de faire des remarques sur ces lectures forcément différentes de la leur, puisque personnelles. Ils ont ensuite élu la lecture la plus aboutie après avoir écouté les différentes lectures envoyées dans la boucle.
Quelles satisfactions tirez-vous de cette expérience ?
J’étais au départ relativement dubitative sur le résultat de cette première expérience de boucle de lecture. Cependant, lorsque les premiers fichiers audio sont arrivés en temps et en heure, j’ai été très agréablement surprise. Les consignes suggérées étaient bien intégrées, chacun avait choisi de problématiser son intervention orale sur l’œuvre choisie de façon différente et les échanges ont pu ainsi être riches et variés. J’ai finalement été très surprise par la qualité des productions orales, d’autant plus que c’était une grande première pour les élèves, après le confinement dès le retour des vacances de février. Il y a eu une véritable émulation entre les élèves. Certains ont même demandé à pouvoir reprendre leur intervention orale, après écoute des fichiers audio des camarades de classe. J’ai en tête quelques fichiers audio associés à des images et de la musique qui s’inscrivaient dans le contexte historique de l’œuvre étudiée. A la qualité de l’intervention orale sur la lecture de l’œuvre, s’ajoutait un moment agréable de véritable partage, puisque la personnalité des élèves transparaissait dans leur production finale. Dans l’esprit d’un carnet de lecture audio, finalement.
Des regrets ou points possibles d’amélioration ?
Un petit regret ? N’avoir pas suggéré aux élèves de se filmer eux-mêmes et d’envoyer des fichiers vidéo uniquement et non pas audio, ou de n’avoir pas tenté l’expérience en vidéo conférence, par petits groupes. Ce sont là des points possibles d’amélioration à l’avenir.
Le dispositif vous semble-t-il adaptable en présentiel ? De quelle façon ?
Effectivement, j’ai reconduit cette expérience de boucle de lectures cette année, en présentiel. J’ai guidé les premiers échanges entre élèves, par petits groupes, en donnant des thèmes ou des problématiques adaptés à chaque œuvre, mais j’espère glisser doucement vers des prises de parole plus autonomes et plus longues de la part des élèves. Des adaptations seront très certainement encore nécessaires pour les boucles de lectures suivantes, puisque j’espère en réaliser au moins une par objet d’étude, et d’autres en fin d’année, afin de préparer l’oral de l’EAF, lorsque les élèves auront vraiment choisi l’œuvre qu’ils souhaitent présenter à l’examen. Là encore, je pense prendre davantage appui sur la personnalité de chacun, afin d’obtenir une véritable appropriation personnelle de l’œuvre exposée.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Présentation par Sarah Cointepas de cercles de lecture en visioconférence