« Il faut éduquer à l’intelligence artificielle tout autant qu’avec l’intelligence artificielle (IA) ». Le Conseil supérieur de l’éducation du Québec, un organe officiel qui conseille le gouvernement sur les questions d’éducation, publie une étude sur l’intelligence artificielle en éducation. Si le CSE pense que l’IA peut apporter un soutien à l’éducation, il met surtout en avant les précautions éthiques à imposer pour que l’entrée de l’IA se fasse au bénéfice de tous.
Réalisée par Hélène Gaudreau et Marie Michèle Lemieux, ce rapport juge que l’intelligence artificielle est d’autant plus incontournable en éducation qu’elle est déjà bien installée dans le système éducatif.
« L’intelligence artificielle est utilisée depuis déjà un certain temps en éducation, et ce, de plusieurs façons, dont les systèmes tutoriels dits intelligents, les systèmes d’évaluation automatique, les environnements d’apprentissage collaboratif et les jeux visant l’apprentissage », disent les autrices. Elles citent les tests corrigés automatiquement, du type des évaluations nationales françaises ou encore les jeux éducatifs. Elle ajoutent aussi les systèmes capables de s’adapter à l’apprenant ou encore les outils nés des learnings analytics, l’analyse des données tirées des apprentissages. « L’analyse de l’apprentissage (learning analytics) permet de suivre les parcours des personnes en formation ou des élèves pour une rétroaction métacognitive personnalisée, intelligente et efficace. Différentes plateformes peuvent en effet faciliter la rétroaction ou accumuler des informations qui permettent de réajuster le contenu ou la formule d’un cours ». Ces outils se multiplient en ce moment.
Dans la société civile, l’IA pénètre surtout par les GAFAM qui utilisent les données pour cibler les consommateurs et générer du profit. Le même risque existe en éducation et des GAFAM sont déjà sur le créneau éducatif.
L’IA réorganise aussi le marché du travail en supprimant des emplois, particulièrement chez les moins diplômés. Les autrices ne pensent pas que les emplois des enseignants soient menacés car une machine ne sera pas capable des interactions que les enseignants pratiquent.
« Les qualités humaines propres à la profession, telles que le jugement critique, l’empathie, la bienveillance et la flexibilité cognitive, restent difficiles à reproduire, si bien que l’enseignement ferait partie des cinq emplois les moins menacés de disparition en raison de l’automatisation », écrivent-elles. « Par contre, il paraît certain que l’IA entraînera des changements profonds dans la façon d’exercer cette profession. Le personnel enseignant sera de plus en plus appelé à jouer un rôle de conseiller, de guide et d’accompagnateur. Il disposera d’outils pour ajuster ses stratégies selon les problèmes relevés, de manière à offrir un enseignement plus personnalisé ».
D’où la nécessité de bien repérer les enjeux liés à l’IA. Les autrices expriment leurs inquiétudes sur l’utilisation des données « quant à la fiabilité des solutions proposées par des machines qui pourraient paraître plus intelligentes qu’elles ne le sont ». Autre risque : « Le profilage et le catalogage des personnes peuvent conduire à une surdétermination des profils d’apprentissage et à une uniformisation des parcours. Enfin, l’utilisation des données personnelles entraîne des risques de biais ou de renforcement des discriminations et peut conduire à l’accroissement des inégalités – dont l’accès à l’éducation – et à la concentration du pouvoir. » Elles carigent au final une « standardisation des apprentissages et de l’évaluation ce qui pourrait laisser les prochaines générations démunies devant un monde en constant changement ».
Les autrices appellent donc à s’investir dès maintenant dans la réflexion sur l’IA. « Pour ne pas subir ce qui se développera dans l’avenir, mais modeler ce qui existera, les acteurs du milieu de l’enseignement devraient s’entendre sur les compétences qui doivent être enseignées par un humain, dont la collaboration, la communication et l’esprit critique. En tant que spécialistes de contenus, les enseignantes et les enseignants devraient également collaborer au développement de l’IA pour la transmission des connaissances et l’enseignement de certaines compétences. Il y aurait lieu de saisir l’IA comme une occasion de mettre en place une pédagogie inclusive centrée sur les personnes, de revoir le design des cours et des programmes, d’analyser et d’adapter les modes opératoires, de trouver des partenaires et de mettre en place une écologie d’apprentissage basée sur l’interopérabilité et les données ouvertes… C’est la compréhension de ce que l’IA fait mieux que lui qui permet à l’humain de devenir plus efficace avec elle.
D’où l’appel à ce que l’IA ne soit plus « une boite noire » pour la population et les enseignants.
F Jarraud