« L’autorité ne va plus de soi. La relation d’autorité chez les enseignants est un poste d’observation privilégié de cette remise en cause… Pour nous l’exercice de l’autorité enseignante relève de la mise en oeuvre de savoirs dans l’action et notre travail vise à mettre au jour ces savoirs ». Dans une édition renouvelée de « L’autorité éducative dans la classe » (ESF Sciences humaines), Bruno Robbes (CY Cergy Paris Université) attaque le mythe de « l’autorité naturelle ». Il critique aussi l’abandon de l’autorité par certains enseignants. Et il dessine, à travers 12 situations concrètes, les outils d’une autorité s’exerçant dans la classe. Dans cet entretien, il présente sa conception de l’autorité éducative.
Vous dites que « l’autorité ne va plus de soi ». Mais est-elle allée un jour « de soi » ?
A une époque elle était beaucoup moins discutée qu’aujourd’hui. Ceux qui avaient un statut social, en général, étaient obéis sans trop de discussion, même s’il y a toujours eu des contestations de l’autorité. Il y avait un consensus social plus fort. Les trois types d’autorité traditionnelle définis par Weber sont remis en question aujourd’hui. Depuis 68 les gens n’acceptent plus d’obéir sans comprendre.
Comment expliquer cette évolution ? Vous dites, dans l’ouvrage, que c’est lié au libéralisme. Vous parlez de « crise des modèles normatifs ». Que voulez vous dire ?
C’est une évolution longue qui trouvent ses racines dans la naissance du protestantisme. A partir de là on discute l’autorité. Aujourd’hui il est clair que les société libérales actuelles accroissent cette contestation de l’autorité. Notamment du fait que l’individu est la valeur dominante. Il a ses propres normes et a donc du mal à suivre les règles collectives. Mais il y a aussi le fait que dans notre société commerciale , l’éducation est en concurrence déloyale avec des logiques commerciales qui excitent les pulsions primaires alors que tout l’enjeu de l’éducation est d’accepter une discipline du surseoir. Ces société concurrencent les parents et les enseignants dans leur rôle d’éducateur.
Mais c’est aussi le rapport au savoir qui a changé. L’économie de la connaissance est une mention utilitaire du savoir. Or l’école a un rapport au savoir qui n’est pas utilitaire. Le savoir de l’école sert à se construire comme personne. Tout cela aboutit à ce que le métier d’enseignant mute.
N’est-ce pas un problème typiquement français ? Pisa, par exemple, montre que la discipline est un problème particulièrement chez nous. Il y a un style d’autorité scolaire qui est propre à la France.
Je suis d’accord. Quand on va dans les autres pays on voit que la question ne se pose pas de la même manière. D’ailleurs dans les pays anglo saxons on parle de « class management et non d’autorité. Dans les autres pays, on trouve des études sur le management ou la gestion de classe. Les rapports avec l’autorité sont moins tendus. Il y a bien en France une représentation traditionnelle du professeur qui pèse lourd. La défiance envers les élèves est installée. Et les enseignants sont souvent démunis pour gérer ces situations. Il y a aussi moins d’alliance entre l’école et les familles en France.
Dans le livre, vous évoquez le refus d’exercer l’autorité chez certains enseignants. Derrière la question de l’autorité il y a la crise du métier ?
Refuser d’exercer l’autorité c’est dire à l’élève « ton sort m’indiffère ». Evidemment il ne s’agit pas que les enseignants se transforment en assistante sociale ou en psychologue. Mais il y a des dimensions éducatives du métier que les enseignants ne peuvent pas ne pas prendre en compte. D’abord parce que l’enseignant est un adulte et qu’il doit déjà jouer ce rôle. Les parents attendent cette continuité éducative de l’école.
Quand l’autorité est évacue par l’enseignant ce sont les autres, la vie scolaire par exemple, qui l’exerce. La grande manifestation du refus d’exercer l’autorité c’est l’exclusion de cours. Je termine une recherche sur elle. On voit que les motifs sont très variés. Mais ce sont toujours les mêmes enseignants qui excluent les mêmes élèves.
Contrairement à B. Moignard, je pense que dans les exclusions ponctuelles il y a des petits incidents qui sont souvent liés à la question de l’autorité et qui méritent d’être repris en s’appuyant sur les enseignants qui font classe sans exclure.
Vous défendez un modèle « d’autorité éducative et didactique ». Que voulez vous dire ?
L’autorité didactique c’est quand l’élève s’approprie la question posée par l’enseignant et que c’est cette situation qui fait autorité et non l’enseignant. Dans une activité d’apprentissage l’enseignant n’a plus besoin de réguler les prises de parole. Cela suppose que ce travail réponde à une question de l’élève. Et donc qu’on amène les élèves à s’en poser.
L’autorité éducative c’est l’idée que celui qui détient un statut , comme l’enseignant, exerce une influence sur l’autre en s’efforçant que l’autre reconnaisse que cette influence est exercée pour son bien. C’est le consentement et la confiance.
La confiance crée par les enseignants produit un cercle vertueux qui construit de la confiance. IL y a une volonté d’influencer chez le professeur et de rechercher le consentement chez l’élève. Ca passe par le champ de la communication mais aussi par des dispositifs pédagogiques et didactiques comme par exemple la pédagogie institutionnelle.
Vous écrivez que pour exercer l’autorité il faut que le professeur « s’autorise et fasse autorité ». Que voulez vous dire ?
S’autoriser renvoie à la confiance en soi. Et là on n’est pas tous égaux comme enseignants selon l’éducation que l’on a reçue. Ca se construit aussi. Certains enseignants qui ont encadré des colonies de vacances ou un sport sont plus assurés dans la relation avec un groupe. Ce n’est pas une autorité « naturelle » mais construite. Du coup certains sont plus à même de gérer l’imprévu qui est l’ordinaire du professeur.
Que le professeur fasse autorité renvoie au dispositif pédagogique. Il faut des compétences pédagogiques pour faire autorité. Robert Gloton dit que l’autorité comme l’amour s’éprouve et ne se commande pas.
L’autorité ça s’apprend ? ET si oui, comment ?
Tout le dernier chapitre du livre est consacré à cette formation. Je décline 12 situations de classe plus ou moins longues. Ce sont des situations apportées par des formateurs et des enseignants. Par exemple, un élève qui refuse de sortir son livre et de se mettre au travail. On analyse ce qui se passe et on cherche , pas des solutions, mais des principes d’action.
Il n’y a pas de recettes. Mais il y a des principes comme éviter de se retrouver dans une situation où on exige la soumission de l’élève.
L’autorité a une dimension sociale ?
Parmi les 12 situations, deux ont été recueillies en Rep et on voit bien la dimension sociale. Par exemple le test de la casquette ou la contestation des notes. La façon dont l’autorité s’exerce varie selon les milieux. Mais son enjeu est toujours de maintenir le lien avec l’autre. C’est lui qui permet l’action.
Propos recueillis par F Jarraud
Bruno Robbes, L’autorité éducative dans la classe. Douze situations pour apprendre à l’exercer. ESF Sciences Humaines. ISBN 978-2-7101-4005-4. 25€