Le redoublement pourra désormais être décidé par le chef d’établissement ou le conseil des maîtres. C’est le sens d’un projet de décret examiné en commission le 29 novembre. Le texte applique les déclarations du ministre en mai dernier. Alors que toutes les études démontrent l’inutilité ou la nuisance du redoublement, à coup sur au primaire, JM Blanquer a décidé de passer outre. Déjà fâché avec de nombreux chercheurs, le ministre « scientifique » a-t-il décidé d’oublier la recherche ? Et pourquoi ?
Le projet de décret
« Autoriser le redoublement ce n’est pas un virage absolu mais c’est une inflexion importante ». La phrase de JM Blanquer dans Le Parisien en juin 2017 trouve son application dans un projet de décret examiné en commission le 29 novembre. Le ministre avait dit : « Il n’est pas normal d’interdire le redoublement. Il y a quelque chose d’absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant les retards. La première réponse réside dans l’accompagnement tout au long de l’année et dans les stages de soutien que nous créons. Mais le redoublement doit rester possible quand c’est dans l’intérêt de l’enfant ».
Selon le texte examiné le 29 novembre, le redoublement pourra être imposé par le conseil des maîtres « dans le cas où le dispositif d’accompagnement pédagogique mis en place n’a pas permis de pallier les difficultés importantes d’apprentissage rencontrées par l’élève ». Dans le second degré, c’est le chef d’établissement qui décidera dans les mêmes circonstances. Le texte ne mentionne pas la fin de cycle et c’est donc le retour du redoublement chaque année. Mais on aura noté qu’avant cette décision il faudra avoir proposé à l’élève un accompagnement pédagogique et avoir vérifié son inefficacité.
Une pratique inégalitaire en forte baisse
La pratique du redoublement a beaucoup diminué ces dernières années. En 2005 17% des élèves de 6ème avaient déjà redoublé. La proportion est tombée à 9% en 2016. En terminale, seulement un élève sur trois était « à l’heure » en1995 et 58% en 2010. En 2016 encore un gros quart des lycéens ont redoublé au moins une année (27%). Même si le redoublement avait déjà reculé avant le décret de 2014, la France lui restait largement fidèle. D’après Pisa 2012, la France est le 5ème pays de l’Ocde pour le nombre de redoublants.
Le redoublement ne touche pas tous les jeunes de façon égale. Il concerne beaucoup plus les garçons que les filles. Le niveau d’éducation des parents est fortement lié à la probabilité d’avoir redoublé. Plus les parents sont éduqués, plus les chances d’avoir redoublé à 15 ans sont faibles. Ainsi, en 2012, avoir une mère diplômée du supérieur divise la probabilité d’avoir redoublé par presque 3 par rapport au fait d’avoir une mère ayant au plus un niveau collège. Les conditions économiques, appréhendées par le statut d’emploi des parents (temps plein, temps partiel, chômage), impactent fortement le redoublement en 2012. Ainsi, un élève dont le père est au chômage ou travaille à temps partiel a deux fois plus de chance d’avoir redoublé qu’un élève dont le père travaille à temps plein. Enfin le redoublement a à voir avec l’appartenance ethnique. En 2003, un élève dont la langue des parents n’était pas le français avait une probabilité de redoubler 79 % plus élevé qu’un élève dont les parents parlent le français.
Deux textes sont venus à l’appui de l’effort de réduction du redoublement. La loi d’orientation de 2013 a rendu le redoublement « exceptionnel ». Un décret publié en novembre 2014 a réduit le redoublement aux seuls cas où il peut « pallier une rupture importante de rupture des apprentissages scolaires » comme une période de maladie par exemple. Encore ne pouvait-il intervenir qu’une fois durant la scolarité du primaire sauf cas vraiment exceptionnel avec l’accord de l’Inspecteur. Le décret prévoit un autre cas de redoublement possible pour le secondaire c’est le redoublement à la demande des familles. » Pour les élèves des classes de troisième et de seconde, lorsque la décision d’orientation définitive n’obtient pas l’assentiment des représentants légaux de l’élève ou de l’élève majeur, ceux-ci peuvent demander le maintien dans le niveau de classe d’origine ». Le nouveau décret inverse la logique de ces textes : le redoublement est maintenant imposé par les enseignants ou le chef d’établissement.
Les syndicats divisés
Interrogé par le Café pédagogique, Stéphane Crochet secrétaire général du Se Unsa, estime que « c’est un recul par rapport aux 20 dernières années d’une politique éducative constante malgré les alternances politiques ». Il y voit « une décision éminemment politique qui sous entend qu’il y avait du laxisme avant. La question maintenant c’est l’effet sur les pratiques des enseignants qui savent bien qu’il faut construire le dialogue avec les familles et que le redoublement ne doit pas être positionné comme une sanction ». Sur RTL, Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du SNES, souligne que « les professeurs ne pouvaient jamais le proposer aux familles… On nous donne le pouvoir de le suggérer en conseil de clase, mais si la famille refuse il n’y aura pas de redoublement », dit-elle. En fait le texte renvoie à la commission d’appel.
Le redoublement est-il efficace ?
De nombreuses études ont travaillé sur cette question. De nombreuses études, à commencer par celles de T. Troncin ou D. Meuret, ont souligné l’inefficacité pédagogique du redoublement. Pour D. Meuret, « en règle générale, à l’école et au collège, le redoublement s’avère peu équitable et inefficace du point de vue des progrès individuels des élèves. Il affecte négativement la motivation, le sentiment de performance et les comportements d’apprentissage de ceux-ci et les stigmatise : à niveau égal en fin de troisième, les élèves « en retard » obtiennent de moins bonnes notes que les élèves « à l’heure », sont moins ambitieux que ceux-ci et sont plus souvent orientés en filière professionnelle. En outre, les comparaisons internationales montrent que le redoublement est inefficace du point de vue des résultats d’ensemble des systèmes éducatifs ».
En 2015, le Cnesco apporte une évaluation plus fine. « Dans la majorité des études », écrit le Cnesco, « le redoublement n’a pas d’effet sur les performances scolaires à long terme. Quelques études obtiennent des effets positifs à court terme dans des contextes très particuliers (notamment lorsque le redoublement est accompagné d’autres dispositifs de remédiation comme des écoles d’été). Le redoublement a par contre toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage. Il semble également impacter négativement le revenu futur du jeune adulte en agissant comme un signal de faible performance du salarié pour les entreprises ».
Pour autant on aurait tort de croire le redoublement inutile. Il peut entrer dans les stratégies scolaires familiales. Par exemple, redoubler une troisième peut être proposé pour éviter une orientation dans la voie professionnelle. En seconde on l’utilisera pour empêcher une orientation dans la voie technologique ou une filière générale non souhaitée. Pour les enseignants, la menace du redoublement est aussi une arme pour faire régner l’ordre scolaire. C’est la force des ces croyances et des ces situations qui ont permis le maintien aussi longtemps d’une pratique aussi coûteuse.
Comment faire pour s’en passer ?
Dans de nombreux pays le redoublement a disparu et les établissements ont développé des alternatives. Selon le Cnesco, « la quasi-totalité des pays européens offre aux élèves la possibilité de passer des épreuves supplémentaires (écrites et/ou orales selon le pays) en fin d’année scolaire pour rattraper les cours pour lesquels les notes ont été jugées trop faibles par l’équipe enseignante. Ce type d’organisation limite l’incidence d’un « accident de parcours » et corrige le caractère aléatoire de certaines évaluations. » D’autres pays , comme l’Allemagne ou l’Espagne, pratiquent la promotion conditionnelle. L’élève passe en classe supérieure mais doit suivre un programme de rattrapage dans la matière où ses résultats sont insuffisants. En Italie, on a créé des écoles d’été pour les élèves ayant de mauvais résultats. Si l’on sort des états européens, le colloque sur l’Asie organisé par le CIEP et la Revue d’éducation de Sèvres, a souligné le cas du Japon. Au Japon tous les jeunes suivent ensemble l’école obligatoire. Chaque classe est divisée en 6 groupes hétérogènes qui réalisent ensemble des travaux variés. Les classes sont délibérément hétérogènes puisque l’école doit représenter le peuple. Le présente, la tradition scolaire est marquée par des curricula inclusifs et favorisant les apprentissages transdisciplinaires. Ils intègrent le tokkatsu : des « activités spéciales » qui sont transdisciplinaires et visent à développer l’enfant dans sa globalité. telle que Ryoko Tsuneyoshi le présente, la tradition scolaire est marquée par des curricula inclusifs et favorisant les apprentissages transdisciplinaires. Ils intègrent le tokkatsu : des « activités spéciales » qui sont transdisciplinaires et visent à développer l’enfant dans sa globalité.
Des classes moins chargées…
Dans les bonnes pratiques qui permettent d’éviter l’échec et le redoublement , le Cnesco n’hésite pas à citer les classes à effectifs réduits. « Les classes à effectifs réduits peuvent permettre aux enseignants de modifier leur pédagogie en consacrant davantage de temps, d’attention à chaque élève », écrit le Cnesco. « La probabilité d’avoir des élèves perturbateurs dans une classe est également plus faible lorsque le nombre d’élèves est réduit ».
Le Cnesco cible aussi d’autres outils pour faire baiser le redoublement. Par exemple le looping : garder le même enseignant plusieurs années facilite l’intégration de tous les élèves et améliore la gestion de la différence dans la classe. L’organisation des programmes en cycles, et non sur une base annuelle, fait également reculer le redoublement.
Mais une pratique plébiscitée
Mais la croyance dans l’efficacité du redoublement est bien installée dans la société française aussi bien chez les enseignants que les parents et même les élèves.
En 2015, le Cnesco a pris l’initiative d’interroger 3302 collégiens et 2314 lycéens venus de 59 établissements sur leur rapport au redoublement. Selon cette étude, 69% des lycéens et collégiens se déclarent défavorables à la suppression du redoublement. Mais 80% voient dans le redoublement une seconde chance. 73% le jugent utile. Les redoublants gardent le souvenir positif d’une année d’efforts. » 67 % des redoublants déclarent s’être plus investis dans leur travail l’année de leur redoublement ; 71 % des lycéens et collégiens sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’affirmation : « J’ai eu de meilleurs résultats l’année redoublée » », affirme l’étude.
Du coté des enseignants, Hugues Draelants a étudié de près, en 2012, le rapport qu’entretiennent les enseignants belges au redoublement. Pour lui, s’il se maintient contre vents et marées, c’est tout simplement parce qu’il a son utilité. » Le redoublement fait l’objet d’un attachement social important et est une pratique difficile à abolir », écrit-il. « D’une part, car nombre d’acteurs scolaires continuent à croire dans son efficacité.. D’autre part, peut-être plus fondamentalement, car le redoublement servait et sert toujours en Communauté française belge (là où il n’est pas interdit) à assumer une série de fonctions latentes ». Il en distingue quatre : « une fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements ; une fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe ; une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants ». Ainsi le redoublement participerait du fonctionnement ordinaire du système , du positionnement symbolique des établissements et de l’ordre scolaire quotidien. « En l’absence du redoublement, les enseignants se plaignent du défaut de motivation induit auprès des élèves, il devient (encore plus) difficile de les faire travailler », écrit-il.
H Draelants soulève une dernière raison qui explique l’attachement des enseignants au redoublement. « L’interdiction du redoublement au sein du premier cycle participe de fait avec d’autres mesures – instauration d’un droit de recours face aux décisions du conseil de classe ; complication de la procédure d’exclusion ; règles très précises aux refus d’inscription – à priver les établissements et les enseignants de leurs instruments de régulation ordinaire… Ainsi, l’attachement manifesté par les enseignants vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être ».
Le dernier paradoxe est à chercher du coté des parents. Selon un sondage réalisé pour l’Apel en décembre 2012, seulement une minorité de parents (41%) le jugent mauvais ou estiment qu’il n’aide pas (43%). Il est vrai que, comme pour les enseignants, le redoublement entre aussi dans les stratégies familiales. C’est particulièrement clair en 3èe et en seconde où de nombreux parents préfèrent le redoublement à une orientation non souhaitée (en L.P. par exemple).
Pourquoi relancer cette question ?
On peut alors s’interroger sur les raisons qui poussent Jean-Michel Blanquer à relancer la question du redoublement. D’autant que le redoublement a un coût puisqu’il faut scolariser davantage d’élèves. On avait évalué les économies liées au décret de 2014 à environ 200 millions trois ans après le décret. Qu’est ce qui peut pousser JM Blanquer à gâcher une telle somme ?
Le ministre ignore-t-il les travaux de recherche qui montre l’incapacité du redoublement à remédier aux difficultés des élèves ? Si l’on pense que non, alors est-ce la popularité du redoublement qui a guidé le ministre ? Comme pour la semaine de classe de 4 jours, le ministre semble privilégier les mesures qui divisent les enseignants et augmentent son poids politique quelque soit leur coût pour les élèves. Ce n’est probablement pas par hasard.
François Jarraud