Comment le directeur de cabinet de JM Blanquer voit-il l’Ecole et son avenir ? La réponse se trouve en partie seulement dans « Ecole, démocratie et société », un ouvrage que Berger Levrault vient opportunément de rééditer en l’ornant d’une préface du nouveau ministre. Ceux qui pensent qu’un directeur de cabinet ne pense qu’en euros et en postes en seront pour leurs frais. L’ouvrage dessine une histoire de l’Ecole pour arriver à sa crise finale en ce début du 21ème siècle. Heureusement les hommes providentiels sont là…
Un profil atypique
» Passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné ». On n’échappe pas au mauvais sort qui plane sur les ouvrages écrits par un directeur de cabinet et préfacé par son ministre. Alors allons-y : Christophe Kerrero évoque Jean-Michel Blanquer en parlant « d’un esprit supérieur ». Celui-ci lui retourne le compliment, mais décemment un ton en dessous, en rappelant son « splendide caractère » et sa carrière fulgurante.
Agrégé de lettres modernes, Christophe Kerrero intègre les personnels de direction une dizaine d’années plus tard. Il devient ensuite inspecteur d ‘académie dans l’académie de Créteil où il croise JM Blanquer. 2009, Luc Chatel l’appelle à son cabinet comme conseiller et le nomme à l’inspection générale avant de partir. En 20 ans, C Kerrero a connu une ascension fulgurante. Quand JM Blanquer revient rue de Grenelle en 2017, il est nommé directeur de son cabinet, un poste essentiel pour la machine ministérielle.
Pendant que les ministres participent au Conseil des ministres, les directeurs de cabinet rencontrent leur homologue à Matignon et font avancer les dossiers. Le directeur de cabinet veille d’abord au budget et aux postes. Il fait le lien avec Bercy et coordonne aussi les décisions du cabinet avec le travail de l’administration ministérielle.
C’est habituellement un poste confié à un énarque, comme PY Duwoye ou B Gaume, à un inspecteur des finances, comme A Siné, à un Conseiller à la Cour des Comptes, comme B Lejeune, pour ne prendre que des titulaires récents de la fonction. Bref ce n’est pas la place habituelle d’un littéraire.
Une histoire de la pensée sur l’Ecole
Or littéraire, l’ouvrage de C Kerrero l’est totalement. Certes il cite les études les plus connues : Pisa, Cèdre, quelques notes de la Depp. Mais le livre est davantage une histoire des idées sur l’Ecole qu’une analyse sociologique ou systémique de l’Ecole d’aujourd’hui. Autrement dit, celui qui cherche dans le livre ce que va faire le directeur de cabinet, des allusions à des politiques à mener dans l’Ecole d’aujourd’hui a intérêt à bien creuser l’ouvrage.
Les premiers chapitres évoquent l’histoire de l’Ecole et de ses rapports avec la société dans une vision humaniste. On passe de la paideia antique à l’école des jésuites en quelques chapitres historiques. On voit naitre le modèle élitiste français sans réelle analyse sociale du rôle de l’Ecole. Le conflit éducation / instruction est évoqué. Et on arrive à l’école unique et sa construction. Chaque chapitre est accompagné de nombreux textes historiques où tronent la lettre aux instituteurs de J Ferry ou les circulaires de Léon Bourgeois. C’est une histoire de la pensée sur l’Ecole que nous offre C Kerrero plus qu’une histoire de l’Ecole.
Le socle barbare…
Les derniers chapitres, qui traitent de l’époque actuelle, se situent dans cette suite. On plane au dessus de l’Ecole actuelle dans une vision humaniste et de civilisation qui doit être assez éloignée du quotidien du directeur de cabinet.
Quelques influences marquantes se décèlent dans l’ouvrage. D’abord H Arendt dont les analyses sont largement traitées. L’auteur dénonce avec Arendt « certain pédagogisme qui privilégie des techniques d’enseignement formelles plutôt que le fond… Cela revient à saper l’autorité légitime du maitre… Le temps de l’éducation, et l’on entend par là celui qui correspond aujourd’hui à la scolarité obligatoire, doit donc être sanctuarisé ».
L’auteur en conclue de façon négative sur le socle : « le nouveau socle, applicable à la rentrée 2016,… risque de heurter la culture professorale tant sa formulation semble misérablement éloignée des humanités », relève C Kerrero.
Entrer à reculons dans le 21ème siècle
Alors quels sont les enjeux de l’Ecole d’aujourd’hui ? C Kerrero en voit deux. D’abord comment l’Ecole peut faire nation. C’est l’obsession du modèle de la IIIème République qui hante ces pages. C Kerrero imagine qu’avec les internats l’Etat pourrait faire renaitre les hussards noirs. C’est une constante du livre de refuser de situer la question scolaire dans les dynamiques sociales de leur époque qu’il s’agisse du 19ème siècle ou du 21ème.
L’autre danger qui menace l’Ecole c’est le progrès technique et particulièrement le numérique soupçonné de faire exploser l’Ecole, le rapport à la culture, voire même la civilisation. « Quant aux nouvelles technologies elles sont une menace contre notre humanité », écrit C Kerrero. « A l’école des algorithmes, notre pensée est elle à même de résister ?.. Alors que penser c’est s’ouvrir, la binarité du web et les moteurs de recherche… éteignent toute velléité de penser ». Du coup, C Kerrero explique pourquoi il est indispensable d’apprendre par coeur : « c’est entrer dans l’oeuvre même , tu vas vivre en moi ».
La conclusion de l’ouvrage dresse le portrait du professeur idéal. C’est celui qui se demande « qu’est ce qu’un honnête homme au XXIème siècle ? ». C’est « un conservateur du monde ». S’il est rassurant de voir qu’un responsable ministériel ne se réduit pas à un comptable. Il est inquiétant de voir que l’Ecole du futur s’écrit avec des problématiques du passé et torune le dos aux réalités du siècle.
François Jarraud
Christophe Kerrero, École, démocratie et société, Berger Levrault, ISBN : 978-2-7013-1890-5, 29 €.