Manipulateur, simpliste, idéologique, contraire aux valeurs républicaines, le rapport Grosperrin ne constitue en rien une base sérieuse de renouvellement pour l’Ecole. Par contre il est bien la base d’un rassemblement politique que l’on voit à l’oeuvre au Sénat où il est défendu à la fois par Les Républicains et par une partie des sénateurs de gauche. Sa vrai force c’est d’être un programme qui rassemble.
Peut on faire d’un bric à brac de mesures dignes du pensionnat de Chavagne un avenir pour l’Ecole ? En principe non. En réalité cette perspective ne doit pas être sous estimée au regard de ce qui se passe au Sénat.
Evidemment le rapport ne manque ni de simplifications, ni d’incohérences. Il ne suffit pas d’exposer les jeunes au chant national, aux sermons patriotiques et à la levée des couleurs pour transmettre les valeurs républicaines. Ce n’est pas à coup de maisons de correction qu’on apprend ces valeurs ou qu’on règle les questions pédagogiques. Sur bien des points les propositions du rapport sont en contradiction avec les valeurs qu’elles sont censées défendre. Comment peut on parler de « sacraliser » l’école en demandant l’interdiction des signes religieux ? Comment une école de l’éviction systématique, une école impitoyable avec ceux qui n’entrent pas dans le moule et le bon rythme, peut-elle se réclamer des valeurs républicaines ?
Il ne suffit pas de renforcer la hiérarchie chez les enseignants pour améliorer le management ou les résultats de l’Ecole. Il ne suffit pas de réveiller la nostalgie des écoles normales et des blouses grises pour relever le défi de l’élévation des compétences du 21ème siècle chez les enfants des classes populaires. Alors que les trois quarts du temps scolaire est pris par les fondamentaux à l’école primaire, on voit mal comment on pourrait augmenter l’horaire de français si ce n’est au détriment des maths ou du « récit national » que l’on prétend défendre.
Tout cet ensemble est incohérent sur le plan idéologique et ne propose qu’une vision minable d’une Ecole qui abdiquerait toute prétention éducative.
Pourtant ça marche. Ce qu’on doit retenir de ce rapport ce n’est pas l’ineptie de ses propositions qu’aucun expert de l’Ecole ne peut prendre au sérieux. C’est leur efficacité politique. Le rapport fabrique un rassemblement politique. Il porte aussi bien l’extrême droite que la droite classique et une partie de la gauche. Le ralliement de Françoise Laborde, sénatrice radicale de gauche, sur la base de ce rapport est très significative.
Les fondamentaux du rapport n’ont rien à voir avec les valeurs républicaines. Le rapport ne défend pas une société démocratique, il rêve d’une société autoritaire, soumise à des hiérarchie « naturelles ». Le rapport ne défend pas la République, il s’oppose à la réalité d’une société démocratique et multiculturelle. Il ne défend pas la laïcité, il s’oppose à la pratique de l’islam et à la présence des Arabes.
Sa force politique réside dans sa conception profondément réactionnaire de la laïcité et de la société. Dans un pays qui ne va pas bien et qui a la nostalgie d’un passé mythique, ces conceptions sont à la mode. Depuis des années on observe la montée de l’obsession identitaire dans la société y compris dans l’école. Cette mécanique rapproche des forces politiques opposées qui partagent finalement les mêmes peurs. C’est cette reconstruction politique sur la peur qui est en route au Sénat dans la perspective de 2017. Hélas, elle a choisi l’Ecole pour se faire.
François Jarraud