A l’instar du texte officiel publié le 23 aout 2013 (Décret n° 2013-768 du 23 août 2013), la circulaire de rentrée 2014 – 2015 ne fait plus allusion au C2i2e (Certificat informatique et internet pour les métiers de l’enseignement et de la formation) à propos de la formation des enseignants. Le C2i2e est donc enterré définitivement, du moins peut-on le penser. Remplacé par ce qui fait suite au texte cité en référence, par un partage entre formation initiale et continue, mais sans véritables repères.
Dans le texte du 23 aout 2013 (Décret n° 2013-768 du 23 août 2013): « Les agents « susvisés peuvent être titularisés nonobstant l’absence de détention du certificat de compétences en langues de l’enseignement supérieur ou du certificat de compétences en informatique et internet. Les agents mentionnés au premier alinéa du présent article qui ne détiennent pas le certificat de compétences en langues de l’enseignement supérieur ou le certificat en informatique et internet à la date de leur titularisation sont tenus de suivre, dans un délai de trois ans à compter de cette date, les actions de formation mises en œuvre en vue de la préparation de ces qualifications et de se présenter aux certifications correspondantes »
Circulaire de rentrée (circulaire n° 2014-068 du 20-5-2014): « Cette dernière (l’école de la république) inscrit la formation des enseignants au et par le numérique comme un volet essentiel de la professionnalisation des futurs enseignants. Cette formation constitue en effet un moyen essentiel pour favoriser le déploiement des usages dans les classes. L’effort particulier mis sur la formation continue au numérique devra s’appuyer sur les collaborations avec les ESPE et sur les formations mises en œuvre à l’aide du numérique. »
L’abrogation définitive du C2i2e, dont l’obligation n’a JAMAIS été inscrite autrement que dans les intentions, mais pas dans les réalisations, mérite une analyse approfondie. Si l’on peut critiquer la forme et le contenu de cette certification, il faut d’abord critiquer les responsables institutionnels (politiques ? technostructure ?) pour leur méthode : comment avoir mis autant de volonté dans un projet comme celui-là et avoir constamment renoncé devant l’obstacle à la dernière minute. En effet à trois reprises (et même un peu plus si l’on y regarde de près), l’obligation contractuelle d’obtenir le C2i2e a été annulée à la dernière minute, soit entre un mois et une semaine avant la date fatidique. Certes, pour la dernière fois, le ministère avait laissé entendre ce possible dès le mois d’avril auprès des correspondants des universités en charge du C2i2e. Mais quand même!!! Quand on voit l’arsenal déployé avec bonne volonté et le travail réel de nombreux acteurs, on ne peut qu’être désorienté, voire en colère…
Si la méthode est critiquable autant qu’explicable (un problème juridique en droit du travail, et une gestion quasi impossible du dispositif au nom de l’égalité), le fond et le contenu du C2i2e doivent aussi être critiqués.
– Dans le référentiel, on a confondu ce qui était idéal (un enseignant ayant une bonne acculturation au numérique) et ce qui était indispensable pour entrer dans le métier. (On peut penser que dans les maquettes des Master MEEF cela a été pris en compte, mais…)
– En imposant dès l’entrée des compétences qui ne peuvent se développer qu’en cours de carrière on a réalisé la même chose qu’avec d’autres évaluations comme le permis de conduire (on ne sait conduire qu’après avoir conduit plusieurs années… pas le jour où l’on a le papier). On confond avoir le droit de avec maîtriser des compétences durablement.
– La logique de l’approche par situations vécues est intéressante, mais à condition d’avoir des vraies situations… ce qui posait problème compte tenu de la réalité des établissements scolaires dont certains sont à peine connectés (cf. le nouveau plan école connectée).
– Une certification de cette nature n’a pas de sens au moment de l’entrée dans le métier (contrairement au CLES 2). En effet il y a trop de paramètres annexes dans ce métier qui empêchent de situer (actuellement) la force du numérique dans l’éducation. Il y a une contradiction entre le poids des didactiques et la place à donner au numérique.
On pourrait multiplier les critiques et en particulier celles qui touchent à la mise en oeuvre réelle et trop chaotique du C2i2e à l’instar des autres certifications numériques en milieu scolaire et universitaire, accordées ou refusées dans des conditions souvent étonnantes.
Mais il nous faut aussi proposer de quoi aller plus loin désormais que le constat est entériné.
– Il est absolument nécessaire que les enjeux du numérique fassent partie des fondamentaux du métier, sinon ce métier perd du sens par rapport au contexte dans lequel il s’exerce et aux publics auxquels il s’adresse.
– Cela doit se traduire par des activités réelles qui incluent l’usage du numérique (par les stagiaires et pas seulement par les PowerPoint des formateurs) dans les formations, aussi bien pédagogiques que didactiques.
– Il est indispensable qu’un travail réflexif soir mené sur les propres pratiques du numérique des adultes. Par pratiques on ne se limitera pas à des dimensions techniques, mais bien plutôt au lien entre vie et technique. Comment éduquer dans un contexte sans se situer soi-même par rapport à ce contexte. Pour l’image on a souvent pensé que la distance suffisait pour l’analyser… on sait aujourd’hui que l’image (fixe, animée, vidéo, animation…) a pris une place prépondérante dans nos sociétés envahies par le numérique. Mais les professionnels de l’enseignement ont bien du mal à se situer par rapport à celles-ci
– Entre l’écran et derrière l’écran, il y a une continuité réelle et non pas une opposition. Il ne s’agit pas d’opposer informatique et usage, mais plutôt de faire faire du lien entre les deux. Comment apprendre l’usage sans avoir des références sur ce qui le permet ? Comment apprendre les fondamentaux du numérique sans les incarner dans des pratiques sociales omniprésentes. Cela suppose des situations d’usage vécues qui fassent l’objet d’un approfondissement.
– Les pratiques d’enseignement, en année de stage et dans les années qui vont suivre, vont être marquées par l’emprise de la forme scolaire traditionnelle issue d’une culture environnée par le livre et de l’écrit. La place du numérique dans un tel contexte peut être niée, voir exclue explicitement tout comme, à l’opposé elle peut être imposée, parfois sans discernement. Il y a là des choix qui doivent être discutés, mais surtout compris par l’ensemble des acteurs.
Est-il nécessaire de refaire un référentiel, une certification ? Faut-il rendre obligatoire la formation ? Il semble que le premier travail à réaliser se situe au niveau des établissements. Mais qu’une fois ce premier travail réalisé, il y ait des mises en relation. En effet si l’échelon du travail effectif est celui de l’établissement (et non pas de la classe), l’échelon de travail stratégique doit dépasser le « ici et là » du vécu. Les enseignants ont tout à gagner à ne plus considérer qu’ils doivent subir les changements, mais au contraire en être des acteurs responsables. Les repères à poser sont d’abord des cadres de référence plus que des référentiels. Autrement dit, il faut accompagner les prises de conscience et leur traduction dans l’action plutôt que de tenter d’imposer des modèles qui leurs sont extérieurs. Les sociologies du changement ont montré des chemins possibles, il faut que les politiques les rendent possibles : en assouplissant réellement la part d’autonomie afin qu’elle dépasse le seul cadre de la « liberté pédagogique » individuelle pour aller vers des choix éducatifs accompagnés et rendus possibles par l’assouplissement de la gestion du temps et des programmes.
Vouloir imposer une certification était probablement allé trop loin, vouloir la supprimer, c’est abandonner les équipes. Trouver une nouvelle dynamique est aujourd’hui indispensable. La circulaire de rentrée nous laisse sur notre faim…
Bruno Devauchelle