Chargé de mission par Luc Chatel, Eric Debarbieux est à l’origine de l’étude que vient de publier la DEPP (Division des études et prospective du ministère). Il revient sur ce travail et ne montre les principaux enseignements. Lutter contre la violence scolaire est affaire d’idéologie et de formation plus que de caméras de surveillance. On ne s’en sortira pas sans un effort collectif forcément long de prise de conscience et de mutation des pratiques pédagogiques. L’effort devra durer au delà du quinquennat…
Que trouve-t-on de neuf dans cette nouvelle étude qui n’ait pas déjà été formulé dans les rapports précédents comme celui de l’Unicef ou celui réalisé pour le ministère en avril dernier ?
Je suis tenté de dire comme vous : en apparence pas grand chose. Ce qui est neuf c’est l’enquête elle-même, le fait que ce que je réclamais depuis 15 ans ait eu lieu. C’est la première enquête nationale et le ministère y a mis des moyens humains. On sort enfin du bricolage avec une enquête réalisée sur un échantillon représentatif de près de 18 000 collégiens ce qui lui donne un caractère irréprochable. Il faut maintenant pérenniser ce travail, réaliser une enquête similaire tous les deux ans. La promesse des Etats généraux a été tenue. Et c’est une enquête qui a fait consensus avec les syndicats et les parents car elle ne permet pas d’identifier les établissements, elle ne stigmatise personne.
En ce qui concerne ses résultats, l’enquête confirme la rareté de la victimation lourde. Les élèves ne sont pas si mal que cela au collège ce qui un bon point pour apprendre. Mais elle confirme aussi qu’un enfant sur dix est victime de microviolences. Et on sait que celles-ci peuvent entraîner le décrochage scolaire et des problèmes de santé mentale. Elle montre un point nouveau : le fait que l’écart entre les collèges RAR (réseau ambition réussite c’est à dire enseignement prioritaire) et les autres n’est pas aussi important qu’on pouvait le craindre sauf pour les violences lourdes. Il faut donc prévenir le harcèlement partout. La question des écarts entre établissements reste cependant à creuser. On peut penser qu’il y a des établissements où les résultats sont moins bons. Si l’on peut faire des enquêtes locales on dispose maintenant d’un thermomètre national étalonné. On pourra aussi approfondir la question de la sensibilité en fonction des données sociales. Il faudra aussi travailler sur la violence de genre ou sur les associations de types de violences. La base de données de l’enquête sera mise à la disposition des chercheurs.
Il faut tirer notre chapeau à la volonté de transparence du ministre. Avec cette enquête officielle il ne va plus être possible de fermer les yeux et il va falloir en tirer des leçons. Par exemple l’enquête montre que les violences verbales comme les violences physiques (à 89%) sur les élèves sont le fait d’élèves de l’établissement. L’idée que l’agression vient de l’extérieur à l’établissement et donc qu’il faut l’enfermer est remise en question. La conséquence c’est que la violence ne peut se traiter que par la pédagogie.
Le sentiment d ‘injustice est très présent chez les élèves : un tiers d’entre eux le ressentent. Comment lutter contre ?
On pourrait penser que les élèves qui disent ressentir ce sentiment réagissent en adolescents. Mais ce sont les mêmes qui disent du bien de leur professeur. Il faut donc penser qu’il y a un vrai problème de justice scolaire. On a eu relativement peu de réflexion collective sur cette question. Les nouveaux textes parus récemment au B.O. et issus des Etats généraux vont dans le bon sens : celui d’une justice réparatrice, de la peine alternative. Il ne s’agit pas de ne pas punir. Mais de le faire de façon intelligente. Il faut donc une formation initiale qui comprenne ces questions, une réflexion sur les sanctions et les punitions dans les établissements c’est à dire au final sur le climat scolaire car les deux questions sont liées. Il faut une approche systémique et travailler les relations entre adultes et élèves.
Constatez vous une évolution des formes de violences ?
L’enquête montre que près de 9% des élèves sont victimes de harcèlement par SMS ou par internet. C’est évidemment un phénomène nouveau et important. On va d’ailleurs organiser en juin à Paris une conférence internationale sur ce sujet. Une autre évolution c’est celle de la violence de groupe. Dans certains établissements elle prend une forme identitaire. C’est une forme plus difficile à affronter car on va contre la socialisation par les pairs.
Mais tout cela nous rappelle que les évolutions sont lentes et que les changements sont forcément longs aussi. Pour lutter contre le harcèlement et le faire baisser de moitié, la Finlande et l’Angleterre ont mis de 10 à 20 ans de politique suivie. Le consensus sur ces questions est donc indispensable.
Quelles recommandations peut on faire pour lutter contre ces violences ?
La première c’est d’être à l’écoute du harcèlement. Le harcèlement a toujours existé . Mais maintenant on en connait bien les conséquences sur les victimes et sur les harceleurs qui, il faut le rappeler , sont toujours les perdants du système éducatif. Cette prise de conscience est une partie de la solution. Les victoires sont parfois idéologiques. Arrêtons de voir la prévention uniquement sous la forme de caméras et de clôtures.
Les solutions sont pédagogiques, dans la formation des enseignants, dans la façon dont les équipes sont attentives. Il n’y a pas de recettes mais des politiques longues. On ne fera pas cesser la violence avec des trucs. Nos routines éducatives doivent être de protection.
Propos recueillis par François Jarraud
Le Dossier du Café sur le harcèlement :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Pages/2011/123_6.aspx